Les peurs au cinéma, traité sur le McGuffin ( spoil )

Dans ses entretiens avec François Truffaut, Alfred Hitchcock, l'homme ayant popularisé le terme de " McGuffin ", ce terme définissant une chose, souvent de nature très vague, faisant l'objet de la convoitise des personnages du film, donnant ainsi un prétexte à l'action. Hitchcock précise donc que tout l'intérêt du McGuffin ne réside pas dans sa nature, mais dans son appropriation par les différents personnages du film. Bien évidemment, " en quatrième vitesse " étant considéré comme un des archétypes du film noir ( bien que cette affirmation soit à mettre en perspective ), il ne peut pas se passer de son McGuffin.


Brisons immédiatement le mystère, le McGuffin est révélé en trois temps au spectateur au cours du film, tout d'abord quand le héros Mike entrouvre la valise dans lequel il est contenu, faisant éclater une lumière anormalement puissante, ensuite, quand Mike est confronté avec un policier à la recherche de l'objet. Constatant une brulure sur son bras, ce dernier comprendra que Mike a ouvert la valise, et ne lui donnera que deux éléments pour éclairer sa lanterne " Los Alamos, Projet Manhattan " deux termes particulièrement lourds de sens, spécialement dans les années 50. Pour finir, la révélation totale, quand malgré les avertissements du docteur, Lily décide d'ouvrir la boite en entier, s'exposant ainsi à la lumière mortelle de son contenu jusqu'à bruler toute la maison.


La considération habituelle du McGuffin et sa révélation tardive pourraient facilement amener le spectateur à le considérer comme un prétexte pour justifier l'intrigue, de mon côté certains éléments m'amènent à penser qu'il en est autre chose. En effet, le McGuffin n'est pas ici un vulgaire " Collier de perles " pour citer Hitchcock, sa nature est nucléaire et son danger est longuement développé par différents personnages; Le docteur qui cherchait à en débarrasser le monde compare cette mallette avec la boite de pandore, en l'ouvrant, on fait déferler sur le monde toutes les atrocités possible. Si la nature du McGuffin avait réellement été sans importance, il aurait également été superflu d'y amener un tel développement. Rappelons le contexte historique, en 1955, le monde est en pleine guerre froide et dans toutes les populations rampe peu à peu dans les cœurs, la peur du nucléaire. L'immensité, l'atrocité, le caractère hyperlatif de la Bombe a traumatisé le monde entier et l'idée que l'humanité possède désormais assez de puissance militaire pour aisément rayer toute vie du globe fait reculer tous les dirigeants du monde à déclencher le moindre conflit armé.


L'art ne pourra pas échapper à ces peurs, la peur est une des émotions qui passe le plus vite dans les arts, comme un moyen de s'en débarrasser. Peur de l'industrialisation, peur du changement, peur de la Bombe, peur de la mort. Ce transfert de peur est une pratique millénaire chez l'être humain ainsi que le rappelle le docteur en citant la boite de pandore. Cette légende datant de la Grèce antique nous raconte l'histoire de Pandore, qui ouvrit une boite quand Zeus lui avait défendu de le faire, libérant par sa curiosité tout les maux des hommes sur la Terre, famine, vieillesse etc. La fin du film est en quelque sorte semi ouverte, si nous voyons bien Mike et Velma sortir sains et saufs de la maison, aucun moyen de savoir qu'il n'est pas trop tard et que l'ouverture de la boite n'entraînera pas à terme la destruction totale du monde. La force atomique serait elle la nouvelle peur de cette humanité subissant de moins en moins le poids de la vieillesse ou des famines?


Un élément capital diffère entre l'histoire de Pandore et celle du film, dans le film, la boîte de pandore est une création humaine. Si la boite du mythe est créée par un dieu, le fait que la nouvelle boite soit une création humaine implique forcément que l'homme prend là une place qui n'est pas la sienne, celle d'un dieu qui n'aurait que le pouvoir de détruire. C'est un questionnement sous jacent intéressant qui peut être amené quand à l'horreur du docteur qui voit entre les mains d'une humanité si peu responsable un objet d'une telle puissance. Le film date de 1955, un an plus tôt sortait Godzilla au Japon. Les USA et le Japon ont une histoire commune qui fut étroitement liée par la bombe atomique. Les premiers responsable de sa conception et de son lancement, le deuxième victime de son utilisation et de ses conséquences désastreuses. Godzilla est aussi un moyen de questionner l'humanité sur l'arme atomique, mais vu de l'autre côté du pacifique. Le monstre y est l'incarnation vivante du danger atomique et des conséquences du tord que fait l'Homme en s'attribuant une place qui n'est pas la sienne. Il semble évident que les Japonais étant les victimes de la puissance atomique, le ton de Honda sera beaucoup plus incisif que celui d'Aldrich, néanmoins la peur reste la même, celle d'une humanité capable de devenir son propre bourreau, qui doit prendre ses responsabilités. Les personnages de Docteur des deux films sont d'ailleurs assez similaires, estimant contre nature et irresponsable de garder une telle arme, tout deux souhaitent leur destruction ( Celui de en quatrième vitesse veut détruire le McGuffin, et celui de Godzilla l'invention qui leur a permit de détruire le monstre. Dans le cinéma Japonais des années 50, les autorités américaines occupant le pays prennent une part active dans la régulation des sorties. Les films de costumes y sont mal vus, tout ce qui peut rappeler les anciens dogmes japonais y est banni, dans ce contexte, l'influence américaine s'est fait ressentir sur le cinéma japonais, qui, sans se départir de son originalité, a su adopter de nouveaux codes, mais aurait il alors été possible que l'influence ait aussi lieu dans l'autre sens? En occupation militaire du pays, les états unis se seraient ils sentis responsables du Japon au point d'en adopter leur peurs? Ou est ce que malgré leur apparent empressement à se servir deux fois de suite de l'arme atomique, les américains auraient soudainement été pris de remords et de peur?


Nous venons de le voir, quand une même peur s'empare du monde, il devient particulièrement intéressant de se pencher sur la façon dont elle se répercutera nécessairement dans les arts, et il en va ainsi de tout. Le cinéma se construit en miroir avec la société qui l'abrite, une société particulièrement exigeante avec ses sujets verra la naissance d'un cinéma enragé particulièrement puissant, comme le Japon a vu la vague Wakamatsu, Tsukamoto, Sogo Ishii, etc... Je refuse donc l'idée d'un cinéma de divertissement, je laisse ça à ceux que Jean-luc Godard appelle les "morts vivants" du cinéma. Un film souhaitant couper tout lien avec la réalité ou distraire le spectateur de celle-ci est un film sans âme.

Nocturne2
6
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le 26 sept. 2020

Critique lue 60 fois

Nocturne2

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