Ridley Scott a une certaine capacité à me surprendre. Chaque fois qu'il paraît être en perte de vitesse, complètement perdu, n'arrivant plus à exploiter son talent dans un filon qu'il semble avoir épuisé, il parvient à rebondir.
Quand Scott a commencer ses films à grands spectacles historiques, je n'attendais pas grand chose, mais force est de reconnaître que Gladiator est une belle réussite. Puis, plus il continuait dans le genre, plus il s'enfonçait, jusqu'à un pitoyable Robin des Bois.
Quand j'ai découvert ce nouveau projet, j'ai tout de suite pensé au film de Cecil B. DeMille, et j'ai eu peur de la comparaison possible. Et puis, la bande annonce et la campagne publicitaire à outrance ne m'ont pas aidé. Je le sentais mal parti, ce machin.
Ma première surprise fut de découvrir des notes très contrastées chez mes éclaireurs, allant de 1 à 10. Voilà qui ravivait un peu mon intérêt.

Conscient d'avoir un si glorieux prédécesseur sur le sujet, Scott a subtilement déplacé le centre de son film. Bien entendu, son adaptation de l'épisode de la sortie d’Égypte parle de la grandeur de Dieu, de la libération d'un peuple de la servitude, de la constitution d'une nation, etc. Mais le centre d'Exodus est ailleurs.
Exodus raconte le parcours spirituel de Moïse.
Un Moïse qui, au début, étant prince d’Égypte, est franchement rationaliste. Il ne peut s'empêcher d'employer son sarcasme contre les prêtres polythéistes. Et le processus de libération du peuple correspond, en parallèle, à un processus de libération de Moïse lui-même, qui doit se débarrasser, dans la douleur s'il le faut, de son rationalisme pour atteindre la place qui lui revient, celle de prophète.
D'habitude, tout le discours typiquement hollywoodien sur le thème "il faut accepter sa vraie nature, il faut prendre en main son destin", et patati et patata, c'est franchement stupide et ça a le don de m'énerver. Mais ici, c'est plutôt bien mené. Car le chemin qu'il parcourt, chemin plein de symbolisme, est une véritable quête intérieure. Moïse oppose foi en soi et foi en Dieu, pensant que la soumission à une autorité supérieure serait la preuve de sa faiblesse. Il pense, comme beaucoup, que la foi est l'opposé de la raison, alors qu'elle est dans un autre domaine, parallèle, pas contraire.
Scott filme tout cela plutôt en finesse, n'imposant pas un point de vue unique mais jouant sur différentes interprétations des phénomènes. Moïse parle-t-il réellement à YHWH ou est-il fou à lier ? Soit dit en passant, j'aime beaucoup de YHWH de ce film, tellement logique par rapport aux Écritures, tellement à l'écart des manifestations grandioses d'autres films, à la fois si humble et si puissant.
J'ai bien aimé aussi comment Moïse, comme c'est le cas dans la Bible, représente une préfiguration du Christ. Il est impossible de ne pas reconnaître le Messie quand on voit Christian Bale, lors de certaines scènes du film. Du séjour dans le désert jusqu'au baptême symbolique dans la scène du Buisson Ardent, Moïse prend les traits d'un Christ, sauveur non pas encore de l'humanité complète mais d'un peuple qu'il libérera de l'oppression.

Le développement de la spiritualité de Moïse se fait en même temps que celui de son pouvoir "politique". Les deux sont inextricablement liés. L'opposition se fait entre un pouvoir humain et un pouvoir céleste. Pharaon, avec sa puissance humaine, ses rites païens, ses palais grandioses, s'oppose à Moïse et aux Hébreux, avec leurs bicoques insalubres, leur foi inébranlable (à ce sujet, Scott passe un peu vite sur le Veau d'Or et les récriminations des Israélites dans le désert) et leur véritable puissance, qui provient plus de cette foi que d'une puissance supérieure. Par un jeu subtil de mise en scène, Scott fait ressentir l'absence de transcendance égyptienne face à la forte autorité de YHWH.
L'opposition Pharaon-Moïse se double d'une opposition Egyptiens-Hébreux. La construction du film met en évidence un effet de miroir : aux cris des Hébreux, au fond d'une carrière transformée en Géhenne, répondront les cris des Égyptiens lorsque la mort frappera les premiers-nés.
J'avoue qu'au début, la scène des plaies m'a fait bien peur. Les crocodiles géants m'ont paru bien laids, et l'invasion des grenouilles plutôt mal filmée. Je pourrais aussi lui reprocher l'emploi, alors trop massif, de trucages numériques. Certes, je m'attendais bien à les rencontrer, mais un peu plus de subtilité n'aurait pas été de trop.
Mais qu'importe, le cinéaste se rattrape par la suite. Épopée divine et tragédie humaine, Exodus parvient à être à la fois un grand spectacle et un film intelligent. Une réflexion sur la foi d'un finesse plutôt rare dans le cinéma hollywoodien. La quête d'un homme qui par des hauteurs quasi-céleste, tombe dans la condition la plus basse pour pouvoir, par sa seule foi, remonter au statut de prophète.
deux petits détails à noter encore : la musique est superbe, et Maria Valverde aussi.

[8,5/10]
SanFelice
8
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le 9 mars 2015

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SanFelice

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