Eyes of war est un film très juste sur les photographes free lance. Mes yeux à moi en ont vu travailler beaucoup, Alors j'explique un peu.
Free lance, ça signifie qu'ils ne sont pas salariés d'un journal, d'une chaîne radio-TV ou d'une agence de presse : ils font ce qu'ils veulent, mais puisque personne ne les missionne, personne non plus ne couvre leurs frais et personne n'achète leurs photos à l'avance. Pour vivre de leur métier, il leur faut remplir simultanément deux conditions : avoir du flair sur l'actualité et de la chance sur le shoot. Auquel cas, il se peut que des médias montent les enchères pour avoir l'exclusivité d'un cliché-choc. Il se peut même que cette seule photo rapporte à son auteur assez d'argent pour plusieurs mois. L'exemple extrême du type qui était au bon endroit au bon moment est personnifié dans l'Histoire par ce jeune Marseillais qui a pris l'unique cliché (au monde) de l'assassinat qui a provoqué la première guerre mondiale : son scoop universel l'a nourri pour le reste de son existence. Ce cas est évidemment exceptionnel. Hélas plus nombreux sont les photographes, surtout de guerre, qui ont perdu la vie en pariant de la gagner hic et nunc, ici et maintenant.
Free lance, ça signifie qu'on est libre de chercher gloire et fortune où l'on veut, quand on veut, aussi longtemps qu'on veut, mais à ses risques et périls potentiellement mortels. Le libre-arbitre, c'est enivrant, mais seulement tant que la fatalité (l'implacable fatalitas romaine) n'entre pas en compétition avec le hasard pour orienter votre destin. Car alors, la responsabilité de vos choix peut non seulement broyer vos chairs mais aussi briser votre mental. Parce que vous ne pourrez pas nier que c'est vous-même qui avez organisé votre présence au mauvais endroit au mauvais moment. Tel est le moteur du film, me semble-t-il.
Outre l'intérêt de cette réflexion, Eyes of war raconte une histoire forte avec un déroulé habile et des moments saisissants, des personnages intensément typés (peu de silhouettes peuvent rivaliser de densité avec celle du médecin kurde), des images très narratives (attention : s'agissant d'images de guerre, certaines sont trop dures pour de jeunes enfants), des jeux d'acteurs appréciables... Que demander de plus ?