De ce que j'ai pu voir de l'œuvre de Hitchcock, « Fenêtre sur Cour » est assurément l'un de ses films les plus aboutis tant par la qualité scénaristique que par la maîtrise totale du suspense et des acteurs du réalisateur. Ainsi, on voit s'établir un huit clos angoissant dont le traditionnel héros masculin hitchcockien laisse la place à une héroïne, et pas n'importe laquelle, pour mener l'enquête à sa place, à cause d'un handicap plutôt mal vécu par le protagoniste.

Ainsi, tous les personnages ont une ampleur telle qu'ils sont crédibles et surtout intéressants : James Stewart campe un photographe dont la jambe dans le plâtre l'empêche de travailler et le rend fou, devenu voyeur par ennui, ses voisins et leurs vies devenant son seul centre d'intérêt et finalement son obsession ; Grace Kelly qui campe la riche amante de James Stewart et qui s'avère très intelligente et audacieuse, personnage pouvant se défendre face au danger et mieux encore, sauver son amour dans le film. Et c'est sans parler des seconds rôles qui viennent prêter main forte aux deux acteurs en vogue à l'époque mais pas moins convaincants et on ne peut plus talentueux.

Un meurtre, donc, a lieu sous les yeux du personnage de James Stewart ou tout du moins, il en est persuadé. Le film va donc le suivre à travers les différents évènements qui vont arriver et qu'il va observer depuis sa fenêtre de chambre pendant qu'il tentera de convaincre son entourage et plus particulièrement un ami détective et Grace Kelly que son voisin d'en face a tué sa femme. Le principe reste le même : le héros est mis dans une situation dont il est difficile de se tirer, voire qui parait complètement impossible à gérer et va devoir user de tous ses talents et de toute son énergie pour s'en sortir. Seulement, et ça fait du bien de voir que le maître du suspense puisse se renouveler à ce point, le héros est ici complètement dépendant du premier rôle féminin : elle n'est plus un simple faire-valoir ou bien une ruse de l'ennemi pour piéger le héros. Non. Ici, elle va se battre pour son amant et même fouiller l'appartement du présumé meurtrier dans une scène à couper le souffle et dont on pourra se souvenir longtemps.

Bien sûr, Hitchcock avait déjà donné une importance à ses rôles féminins mais en aucun cas, il ne leur avait donné une telle force. Je pense par exemple à « Psychose » et où il prend tout le monde à revers en (attention ceci peut être un spoiler pour les néophytes d'Hitchcock) tuant son héroïne au bout d'une grosse heure de film. Elle a toujours un rôle capital dans ses films mais en aucun cas elle ne surpasse le héros, bien au contraire. Elle est même dans plusieurs cas, l'instrument du malin dans ses films et en est consciente ou pas. Par exemple, les affiches de « Les oiseaux » montraient l'actrice principale maîtresse d'oiseaux, indiquant que le mal n'avait commencé qu'à son arrivée, qu'elle en était en quelque sorte responsable. Une vision de la femme donc, complètement différente et rafraichissante dans ce film nous est offerte.

On se souvient de « La Corde » qui distillait une ambiance pesante et malsaine durant une heure trente non stop et où, encore une fois, James Stewart brillait par son charisme et son implication dans le projet, répondant de manière tout à fait adéquate aux indications d'un metteur en scène dont on sait qu'il n'est pas facile de se défaire tant il contrôlait tout ce qui pouvait se passer sur les plateaux. Et bien, « Fenêtre sur Cour » est aussi bon, voire meilleur dans le sens où Hitchcock ne s'impose aucune contrainte technique (le plan séquence) et va pouvoir exposer tout son talent de metteur en scène dès qu'il s'agit de mettre en place un thriller psychologique jouissif, inquiétant et drôle à la fois, où l'on est à la fois certain et pas si sûr que le coupable est celui à qui on pense et où finalement, rien n'est joué quant au sort du héros.

Tout le savoir faire du maître ressort donc d'un film qui a fait l'âge d'or du film de studio hollywoodien, avec des moyens justement utilisés et surtout un réalisateur et des acteurs parfaits dans leurs rôles, qui connaissent leurs métiers et nous offre une œuvre déroutante et qui reste en tête. Tant et si bien qu'à la fin du film, on n'a qu'une envie, recommencer, repartir dans cet univers si particulier, ou tout peut arriver, où les personnages sont légèrement caricaturaux certes, mais n'en restent pas moins convaincants, où chaque mouvement de caméra est étudié pour distiller un peu plus la tension qui devient palpable dans un final en apothéose qu'on taira bien entendu.
Carlit0
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le 3 déc. 2011

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