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Les cinéastes en passe de franchir la soixantaine ont une tendance à l'introspection ces temps-ci. Alfonso Cuarón ouvrit la marche avec Roma, Quentin Tarantino conta son Once Upon a Time in...Hollywood, Paul Thomas Anderson vient de nous offrir Licorice Pizza et voilà que Richard Linklater y ajoute sa pierre avec Apollo 10 1/2. Et Everybody wants some!!, c'est du poulet ? Non, mais situé dans les années 80. Or, son dernier opus ainsi que les 3 films de ses collègues sont tous situés dans les mêmes eaux : fin 60/début 70.


Une période charnière où insouciance et prise de conscience vont se fracasser l'une contre l'autre, à l'aune de la guerre, des morts, du choc pétrolier, des scandales politiques et révolutions technologiques. Ne vous méprenez pas : il ne s'agit pas de servir la soupe du c'était mieux avant mais plutôt de nous faire ressentir comment c'était avant. Linklater n'ayant pas son pareil pour rendre chacun de ses projets atypique, on se disait que celui-ci ne ferait pas exception. Et on a eu raison.


Par un génial subterfuge de scénariste, Tarantino sauvait l'Histoire et transformait les has-been en héros. Linklater se sert lui de la rotoscopie (dispositif permettant de redessiner les plans) comme un pur élément de mise en scène. C'était déjà le cas pour le superbe A Scanner Darkly, qui embrassait la vision schizo et psychédélique de Philip K. Dick. À l'inverse, le procédé fonctionne ici à plusieurs niveaux, à la fois écho de lointains souvenirs et divagation tendrement barjo. La première option est néanmoins la plus prononcée.


Passée l'introduction - et le prétexte loufoque - le vrai sujet se déroule sur les 90 minutes restantes : l'enfance de Richard Linklater. Le geste autobiographique est assumé d'un bout à l'autre. Houston, l'époque, les parents, les frères et sœurs, les copains, le quartier, l'école, les habitudes, les repas en famille, les soirées télés, les séances au drive-in, les jeux, les blagues, l'atmosphère,...J'en oublie sûrement tant Linklater semble livrer en l'espèce rien de moins qu'une époque toute entière. Il le fait bien, aucune odeur d'encaustique dans l'air, juste une petite brise bien fraiche.


Elle s'accompagne d'une petite remontée d'acide salvatrice, l'american dream prend quelques tartes et le regard porté sur la conquête spatiale n'a rien de l'envolée lyrique. Une fois encore, les souvenirs comptent plus que la mythologie accolée à 1969. Finalement, le semblant d'intrigue (l'expédition d'un enfant dans l'espace) était-il nécessaire ? La question est légitime, le film paraît même s'en désintéresser. Mais l'idée était surtout de montrer à quel point toutes les choses - petites comme grandes - ont une place dans l'imaginaire, qu'il soit individuel ou collectif. Plus qu'un témoignage, Linklater offre une fenêtre ouverte sur le sien.


Cette mise à nu prend de fait les atours d'une bulle pétillante, précieuse, qu'on regardera avec beaucoup de sympathie. À nous de la protéger.

ConFuCkamuS
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le 2 avr. 2022

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