Frissons
6.5
Frissons

Film de David Cronenberg (1975)

Voir un film en VF ne favorise ni l’immersion dans l’atmosphère dudit film ni l’appréciation globale de l’œuvre. Faute de mieux, j’ai vu Shivers en Français (merci Amazon Prime). La mise en scène de Cronenberg est si brillante que malgré une VF gênante, les frissons m’ont submergé.


Troisième œuvre du cinéaste canadien, et première vraie réussite. Cette réussite tient déjà de son traitement narratif, et de l’éloignement de l’onanisme intellectuel qui habitait ses deux films précédents. On pourrait qualifier ses deux premiers films de cérébraux, son troisième est viscéral. D’ailleurs, Hobbes (le personnage clé de l’histoire puisqu’une dans une certaine mesure, il est l’élément perturbateur) disait de l’Homme qu’il était trop cérébral, mais pas assez viscéral.
Comme pour Stereo et Crimes of the Future, Shivers est un huis-clos. Par essence, le huis-clos est oppressant, frissonnant et suffocant. Cependant, si l’espace et le temps ne sont pas parfaitement gérés, le huis-clos peut être également une source d’ennui. Ce fut le cas dans ses deux films expérimentaux, mais ce n’est absolument pas le cas ici.



Hobbes, le mal est fait



Comme je l’ai évoqué plus haut, Hobbes est l’élément perturbateur, celui qui à cause de son action va plonger tout un immeuble tranquille, dans le chaos. Au cours d’une expérience scientifique qui bien qu’idiote sort de l’ordinaire, il a inséré un parasite dans le corps d’une fille qui fait figure de cobaye (thème récurrent dans la filmographie de Cronenberg). Ne pouvant plus contrôler sa création, Hobbes finit par se suicider mais les traces de son expérience ne vont pas tarder à faire de l’homme un loup pour l’homme. Une fois l’individu affecté par ce parasite, il devient un prédateur sexuel.
La tension monte à mesure que les individus de l’immeuble sont contaminés. Cronenberg ne précipite pas les choses, et au fur et à mesure, le film devient un survival. Au départ, il s’agissait de lutter contre un parasite, à la fin il s’agit de lutter contre son vis-à-vis. La menace se lève, il faut tenter de survivre.
Cette idée de survival est bien entendue conjuguée aux codes du film de zombie. Plusieurs scènes jouent de ces codes ou les utilisent clairement : quand le protagoniste sort de l’immeuble et se retrouve à l’extérieur entouré par des zombies sexuels, qui marchent lentement sans pour autant avoir du sang dans la bouche et les bras parallèles au sol ou alors quand il fuit aux côtés de sa secrétaire (et infirmière) dans le parking sous-terrain.
Ainsi, Cronenberg joue des codes du film de zombie pour y insérer ses propres obsessions. Cronenberg, à travers les traits de l’infirmière énonce :



Tout est érotique. Toute chose a un côté sexuel.



Un individu devient un zombie après qu’il a été mordu par un zombie. Un corps étranger vient posséder un corps jusque-là sain. L’esprit ne contrôle alors plus rien, les êtres contaminés n’ont plus de capacités d’analyse, l’objectif étant de suivre son instinct animal, ici de prédateur sexuel.


En plus de revisiter les films de zombie, Cronenberg reprend à sa manière la scène de la douche de Psychose. Là où Hitchcock met en place une femme nue (c’est plus pratique quand on se lave) debout dans une douche, Cronenberg installe une femme couchée dans sa baignoire, en train de prendre un bain. Dans les deux cas, l’eau et le sang finissent par se mélanger. Néanmoins, chez Hitchcock, c’est le corps qui est meurtri, alors que chez Cronenberg, c’est l’esprit qui est perverti.


Shivers ne se limite pas à la revisite des classiques, il en annonce également. Comment ne pas penser à Alien, le huitième passager quand le parasite s’agite dans le corps des hommes ? Comment ne pas penser à Die Hard avec cette atmosphère de huis-clos où l’immeuble est un personnage à part entière ?
Finalement, Cronenberg réussit à exploiter particulièrement bien ses obsessions (alors qu’il les avait sous-exploitées lors de ses films expérimentaux) et une fameuse scène de The Brood n’est pas sans rappeler une scène de Shivers.


David Cronenberg, avec un petit budget réussit à nous donner des frissons, et rendre crédible une histoire invraisemblable. Le parasite (ou morceau de viande) provoque franchement le dégoût, et en aucun cas m’a semblé grotesque. Shivers est un film qui a 45 ans, mais dans son rythme et dans la gestion de la peur, n’a pas pris une ride. Avec ce troisième long-métrage, David Cronenberg installe son univers étrange, malsain et plein de chair et n’a pas fini de nous glacer le sang tout en étudiant les comportements humains.

sachamnry
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes 2020: découvertes et redécouvertes filmiques, Les titres courts, ça en dit long..., La dualité cronenbergienne et Les meilleurs films de David Cronenberg

Créée

le 18 juin 2020

Critique lue 563 fois

10 j'aime

4 commentaires

sachamnry

Écrit par

Critique lue 563 fois

10
4

D'autres avis sur Frissons

Frissons
KingRabbit
7

Les Aventures d'un étron maléfique

Ou "les Zombies partouseurs", ou "le Guide du Petit Cronenberg illustré". "Frissons" ("Shivers") doit être précurseur de 1001 trucs. Déjà, le film date de 1974, tout droit sorti du cerveau malade...

le 5 juil. 2013

45 j'aime

1

Frissons
SanFelice
10

Bas instinct

Que deviendrait la société si les hommes donnaient libre cours à leurs instincts, même les plus honteux ? C'est la question que s'est posé un médecin, sorte de savant fou. Il a inocculé à une...

le 27 nov. 2011

39 j'aime

6

Frissons
zombiraptor
7

Lubrique à Braque

Dès les premières images, on est avec ce bourgeon balbutiant dans la définition de ce que sera définitivement le cinéma de Cronenberg. Sang, barbaque, bistouri barbouillé et atmosphère orga-nique...

le 16 juil. 2014

32 j'aime

6

Du même critique

Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait
sachamnry
8

Les Choses de la vie, les choses qu'on envie

Je désirais voir ce film. J’ai aimé ce film. J’aurais apprécié ne voir que ses qualités. J’aime les choses qu’on dit, mais apprécie davantage les choses qu’on fait. Et justement, là où le dernier...

le 16 sept. 2020

21 j'aime

3

Mademoiselle de Joncquières
sachamnry
8

"L'amour est une offense pour ceux qui en sont dépourvus"

Emmanuel Mouret, diplômé de la Fémis, nous présente son dernier long-métrage, une adaptation de l’histoire de Madame de la Pommeraye issue du conte philosophique de Denis Diderot, Jacques le...

le 20 avr. 2019

17 j'aime

8

Le Voleur de bicyclette
sachamnry
8

Les voleurs d'espoir

Le Voleur de bicyclette est un monument du cinéma néoréaliste italien, et pour cause il synthétise toutes les composantes de ce mouvement : les décors naturels, les acteurs non-professionnels et les...

le 21 mai 2020

11 j'aime

6