La cité Gagarine flâne dans l'espace avec légèreté, ses occupants de divers horizons survivent à leur manière dans ce vaisseau tombé en désuétude. Une menace plane de plus en plus sur ce lieu de vie, celle d'une "pluie d'astéroïdes" pour laquelle le vaisseau ne résisterait pas de par sa fragilité. Tandis que l'abandon sera le choix le plus simple, un rêveur tentera de renforcer l'état de la cité pour contrer cette menace pesante.


Pour en faire une synthèse accessible aux personnes n'ayant pas encore vu le film, je dirais que c'est un premier long-métrage délicat dans son traitement mélangeant drame social et science-fiction. La réalisatrice Fanny Liatard et le réalisateur Jérémy Trouilh nous livrent une fresque contemplative sur cette cité d'Ivry-sur-scène qui retranscrit parfaitement les habitants et leurs manières d'être, de vivre en simplicité malgré la complexité. La galerie des caractères est variée et permet une immersion plus réaliste en total contraste avec l'imaginaire spatial rattaché à Gagarine et à Youri, un adolescent attachant interprété par Alseni Bathily. Je place en coup de cœur une mention honorable pour Lyna Khoudri dans le rôle de Diana, elle est superbe dans son jeu et porte une jeune femme forte et pétillante de fraîcheur. Tous ces personnages disposent de rêves universels, ceux d'un ailleurs, d'un semblant de liberté ou encore d'une survie face aux difficultés, ces rêveurs vivent la tête dans les nuages pour d'autres dans les étoiles. Concernant les réalisateurs, ce sont des passionnés et cela se dévoile dans le long-métrage avec une belle histoire mais également l'utilisation de l'espace, de ses décors, de ses lumières. Une chose est sûre, cette fusée originale vient de décoller dans le paysage français avec l'espoir de toucher le plus d'étoiles possibles, allez voir ou revoir ce film, vous êtes les étoiles qui peuvent le faire briller davantage !


Gagarine, un homme, une cité, un film...


Le 30 septembre 1963, le cosmonaute Yuri Gagarine inaugure cette fameuse cité faite de briques rouges, dans le film elle est montrée à la fois à travers le prisme du réel et celui de la fiction avec ses airs de vaisseau spatial. Le film s'inscrit comme un hommage envers des jeunes rencontrés lors du tournage, qui souffrent souvent d'une image caricaturée, les réalisateurs tentent alors de dépeindre le plus fidélement possible les traits de caractère et de vie qui ennhivre les allées et les couloirs de la cité rouge. Marque du passé, le film est un témoignage de l'année 2019, de cette cité remplie de vie avant de devenir un bâtiment fantôme. Dans un endroit approprié pour les rêves, jonché par le premier astronaute ayant volé dans l'espace, Youri prend place dans sa navette et regarde de son hublot, à la recherche d'une lueur d'espoir dans sa mélancolie.


Arrivée imminente dans une atmosphère qui dispose d'un taux variable d'élèments qui peuvent dévoiler des moments du film pour ceux qui ne l'ont pas encore vu. Mise en garde terminée.


Des visages, des regards, des âmes...


Abordons maintenant le travail sur les personnages en énumérant une partie de leurs caractéristiques de façon fragmentaire en raison de leur nombre plutôt élevé :


Youri est donc le personnage inscrit sous la houlette du protagoniste, astucieux et ingénieux il rêve de devenir astronaute, à défaut de ne pas le réaliser dans l'espace il le fera au-delà des codes dans sa tête, son antre des songes. Joué par Alseni Bathily, il est à l'écoute des autres avant sa propre personne, il a des amis de longue date ou de nouvelles rencontres, il réuni même les regards admiratifs de la cité vers une éclipse. Outre cet aspect en apparence heureux, se cache un jeune homme triste de s'être fait abandonné par sa mère au profit d'un autre homme avec qui elle éleve un bébé, les seules nouvelles qu'il aura éclipseront rapidement son espoir de retour par une poignée de billets et une adresse à rejoinde. Seul, discret, il ne demande pas d'aide et se donne pour objectif de vivre de ses propres moyens à sa manière en revêtant la combinaison spatiale. Son jeu arrivera à son apogée en montrant au spectateur, un jeune dévasté et toussotant par l'amiante, faible il s'accorde alors un dernier moment de spectacle cosmique.


Diana, interprétée par Lyna Khoudri, apporte une joie communicative pour les spectateurs mais surtout pour un Youri amoureux. Vivant dans un bidonville rom proche de la cité, elle rêve aussi d'ailleurs, d'aller loin, de vivre aux États-Unis. Attachante et altruiste, elle aide aux réparations matérielles de Gagarine et fait partie d'un point majeur dans la vie de Youri avant et après l'abandon de la cité. Sous une rupture brusque et douloureuse, elle est amenée elle aussi à partir pour occupation illégale du terrain, laissant alors le jeune homme solitaire.


Gérard, incarné magnifiquement par Denis Lavant, est un personnage excentrique qui leur permet de récupérer des pièces et des matériaux afin de s'atteler à la rénovation en échange des bijoux de la mère de Youri, ce qui en fait une séparation difficile mais également réaliste oú il comprend qu'elle ne reviendra sûrement pas. D'ailleurs pour l'anecdote rapportée par Lyna Khoudri, Denis Lavant original dans ses rôles, lui a soumis l'idée de chanter en russe une heure avant le tournage de la scène, lui laissant écouter la chanson et en lui laissant faire appel à la réalisatrice Mounia Meddour (Papicha) qui parlait couramment russe pour l'aider. La scène portée par cette originalité et l'interprétation du personnage farfelu de Gérard, fait office d'une belle surprise dans le long-métrage.


Fari, interprétée par Farida Rahouadj, se présente comme une sorte de mère de substitution pour Youri à qui il parle de sa mère perdue, elle s'en occupe comme un fils et le fait progresser dans la vie adulte, notamment dans la scène oú Youri conduit malgré les calages, qui n'est pas si anodine que ça en montrant à la fois Fari qui l'aide, qui l'encourage de continuer après avoir caler et qui le félicite à la fin de la séance de conduite en parallèle de sa vie ponctuée par des obstacles. De plus, on a le droit à la chanson Ya Tara de Lena Chamamyan et Amine Bouhafa, qui est très belle et entraînante. Son appuie se façonne également avec les autres membres de la cité, notamment lors de la rédaction d'une aide de demande de logement d'une mère émue.


Houssam, joué par Jamil McCraven, est l'ami principal de Youri, il est son coéquipier dans la réparation mais aussi un rival dans l'amour avec Diana. On pourrait regretter un manque de profondeur dans cette amitié mais elle demeure pourtant réaliste car fragile. Suite à la tentative du père de Houssam d'incendier la cité car il souhaite la quitter, Youri déjà réservé marquera une distance vis-à-vis de son ami jusqu'à son départ dans un silence mortuaire. Cette amitié est montrée comme figée par le rêve en construction de Youri alors qu'il reçoit un appel de Houssam qui lui demande des nouvelles par répondeur, l'inquiétude est présente, l'amitié continue mais reste muette. Youri exercera l'absentéisme de réponse que sa mère lui fait subir, laissant de côté un frère bienveillant qui lui demande de ne pas lui faire la tête malgré la tentative d'incendie que son père avait perpétuée.


Dali, représenté par Finnegan Oldfield, est un jeune perdu dans la caricature, qui veut se faire l'intéressant mais n'a pas grand chose à lui, il est aussi isolé malgré les apparences qu'il se donne. Son nom n'est pas laissé au hasard par rapport à son côté excentrique. On ignore sa fin qui ne nous est pas montrée même si son sort est sûrement funeste avec l'évocation du suicide sous un train alors qu'il a tout perdu.


Des envolées, un décollage lyrique...


L'œuvre concentre des passages sublimes souvent accompagnés de moments musicaux agréables à l'oreille composés par Amine Bouhafa et les frères Galperine. Ainsi nous allons en évoquer certains, déjà en parlant de cette cité métamorphosée en vaisseau par des plans qui se réfèrent au cinéma de science-fiction en mettant en place des mouvements lents, souvent longilignes et symétriques sur des élèments ordinaires (immeuble, hangar, ascenseur, trains...) en leur insufflant une ambiance spatiale.


Une autre envolée réside dans le partage heureux ou triste d'une communauté, des moments de vie populaires dont Youri fait toujours parti indirectement, le premier est le moment de l'éclipse où chacun est réuni sous le voile teinté pour apprécier en osmose cet événement rare et privilégié destiné à l'être humain car les rangs sociaux ne rentrent pas en compte pour assister à la beauté solaire, tout le monde est à égalité, admiratifs de ce spectacle permis par la fabrication du jeune inventeur de la cité. Le second moment collectif se met en scène dans une atmosphère tragique oú les membres sont de nouveau réunis mais cette fois-çi pour assister au dernier souffle de la cité, créant un voile étoilé de par leurs téléphones qui éclairent la future scène finale. D'autant plus on a le droit au trompettiste affilié à la cité qui forme un beau moment musical mais aussi émouvant en connaissant son rituel lorsqu'il était à Gagarine. Outre ces superbes hommages collectifs et avant de parler plus en détail du climax, nous verrons quelques passages dans la mise en abîme de la solitude de Youri et son occupation créatrice dans la cité barricadée de grandes façades.


Une vie fantôme, des instants partagés...


La cité à l'abandon, un esprit rêveur prend les commandes et se met à orchestrer son nouveau lieu de vie, en récupérant des matériaux, cassant des murs colorés et fabricant sa capsule. Les décors en seront admirablement achevés en donnant l'illusion parfaite de son lieu de navigation, ils sont dirigés par Marion Burger qui organise par exemple le poste de pilotage avec de la récupération notamment de câbles d'ascenseur, un siège de bureau amélioré de boutons et de levier, à côté se retrouve un potager très coloré et varié de plantations, pas récréatives à la plus grande déception de Dali... Car effectivement son vaisseau prend le rôle d'un refuge pour les âmes isolées ou en quête d'aventure, d'abord pour Diana qui découvre cet espace avec la scène illuminée des constellations sur le mur puis Dali qui livre un moment certes basique mais très onirique en tournoyant avec grâce tandis que la caméra fait de même sous la chanson qui fait sens de Gainsbourg, Aux armes et caetera. Nous avons aussi le lendemain du départ de la cité un échange éclairé entre Youri et Diana qui pratiquent le code morse laissant transparaître un dialogue silencieux, lointain mais poignant entre les deux jeunes qui malgré leur différence peuvent créer un lien fort. De plus, on aura le droit à l'ascension de la grue basée sur une relation de confiance avec un Youri effrayé par le vertige mais convaincu par Diana d'arriver au bout, achevant alors leur déclaration passionnelle une fois en haut.


Un final virtuose, symbolique et touchant...


Dotée d'un impact marquant, la fin se confond et se brouille avec la réalité, elle dévoile des images relevant du rêve, du symbole et du réel sur plusieurs histoires. Comment avez vous perçu la fin entre le réel et le rêve ? La confusion est volontaire et laisse au spectateur plusieurs significations probables et la façon dont les interpréter. Revenons donc au rassemblement, cette cohésion pour voir s'effondrer le passé, à la mesure que le décompte évolue; la crispation se fait de plus en plus ressentir vis-à-vis du jeune homme encore dans l'immeuble. Et puis c'est une semi-libération entre un rêve réalisé grâce à l'imagination et la magie du cinéma mais aussi une douleur en revenant à la réalité en supposant sa mort. C'est là où le film bouleverse la réalité et l'imagination, qu'est ce qui revient à la vision de Youri ? Difficile à dire et je préfère me convenir de toutes les symboliques possibles en voyant les scènes à travers ces deux prismes. Ainsi, le moment du S.O.S. est puissant tout en faisant référence à un réalisateur très apprécié par Fanny et Jérémy, Steven Spielberg avec Rencontres du troisième type revenant à ce message universel clignotant d'humanité et de désespoir. Déclencheur, d'une prise de conscience, on retrouve la communauté de nouveau rassemblée, ensemble, soudée qui accompagne Youri écroulé qui navigue entre les étoiles de leurs téléphones, puis... la vision de Youri, regardant notamment Diana qui disparaît comme si elle n'était jamais venue. Fidèle à sa vision, on peut alors se demander si il n'a pas imaginé ses rêves les plus profonds, déambuler en apesanteur, avoir de nouveau une vie collective dans la cité et... être aidé, hors il n'a jamais trouvé le courage de le demander malgré les personnes présentes autour de lui, prêtes à l'aider avec bienveillance. S.O.S. en devient alors un potentiel cri du cœur qu'il exalte pour lui même...


En définitive, nous sommes arrivés à destination, il faut continuer de soutenir des films français avec un potentiel aussi vaste, de plus quand les réalisateurs en font un film mémoriel sur le souvenir encore chaud de cette cité, en attendant avec impatience le prochain film de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh se déroulant aux États-Unis toujours dans l'ambiance de la science-fiction et du thème social, je vous remercie d'avoir lu cet avis qui me tenait à coeur de par le caractère poignant du film.

Cubick
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le 3 juil. 2021

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Cubick

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