Avant même de voir ce film, avant même qu'on puisse en avoir l'idée, il était évident que la biographie d'un Gandhi au cinéma ressemblerait de près comme de loin à une hagiographie, sans regard critique.
Et si jamais, ô grand jamais critique il y avait, pour sûr elle ne rendrait pas notre amour entâché ou empêché.

Dès le début, je savais que la colombe de Gandhi resterait immaculée et sans recul. Qui oserait toucher ces symboles, ces Lady Di (biopicisée), ces Mère Teresa (biopicisée) ?

C'est pourquoi avec la déraison qui en découle, je vais faire le procès de ce mythe, de sorte à le déconstruire. Je vais faire et construire ce que le film ne dit pas. Il s'agit de signifier avant toute chose et par principe tout ce qui est mis sous le tapis dans ce film de propagande classique. Pourquoi Gandhi a-t-il pris cette forme politique ? Pourquoi continue-t-il de faire sens dans la tête des populations ? Pourquoi le pacifisme n'est pas une justice valable pour les plus démunis ?

"Les générations à venir auront peine à croire qu'un tel homme en chair et en os ait pu exister", dit, au début du film, un commentateur aux funérailles de Gandhi en 1948.

Gandhi était technophobe, contre la mécanisation, contre des innovations majeures. Il était tellement conservateur qu'il se prononçait contre l'économie de marché, la mondialisation et la réussite économique. Je partage cette dernière conviction mais beaucoup oublie les couloeuvres qu'il faisait avaler pour arriver à ce constat.

Un de ses assistants affirmait qu'il fallait "beaucoup d’argent pour maintenir Gandhi dans la pauvreté". Parce que Gandhi faisait énormément vendre. Aujourd'hui on appelerait ça un plan de communication. Chasteté, non-violence, humilité… Enfin bon, je n'oublie pas non plus que des adolescentes dormaient nues dans son lit et qu'il était autoritaire avec elles, voire invivable.


Pour faire clair, Gandhi était un "oecuméniste" patriote appartenant à la bourgeoisie rajasthane. A ce titre, cette bourgeoisie, clairement religieuse, avec l'arrivée de l'industrialisation (démultipliée par la colonisation ?), est poussée par une autre classe bourgeoise ascendante. Elle n'est plus la référence du fait de la présence des britanniques sur le territoire. Et, je pense pertinemment, que c'est en fait, l'affrontement de deux classes bourgeoises qui ont abouti à l'indépendance de l'Inde en 1947 et à un million de morts (qu'on ne voit pas bizarrement). J'en veux pour preuve que l'indépendance n'a strictement rien changé pour les classes populaires que Gandhi lui-même méprisait au travers des Dalits. Par ailleurs, petite digression, Gadhi a méprisé bon nombre d'êtres humains, notamment lorsqu'il était avocat en Afrique du Sud (cf. lien + définition de Cafres/Kaffirs)

En Inde, du vivant de Gandhi, un homme s'est élevé contre le mythe et il est à présent aussi plus reconnu dans sa parole que ne l'était Gandhi : il s'appelle Bhimrao Ramji Ambedkar et il était Dalit. Je vous tends de bon coeur une référence pour que la Vérité, la très Sainte et Belle Vérité gandhienne trouve un écho dans vos consciences (de nos jours, avec la crise capitaliste, beaucoup pense, hélas, que la désobéissance civile ou que la décroissance, la démondialisation, l'éco-citoyenneté... sont des moyens humains et non-violents de sortir d'un système basé sur le profit). Je n'essaie pas de remplacer un mythe par un autre mais il s'agit plutôt d'apporter d'autres visions, de désacraliser la sainteté de Gandhi.

Bien sûr, il s'agit de religion que le film a eu la bonté de transformer en une succession de bondieuseries proverbiales et de jeûnes protestataires. Pourtant Gandhi n'était jamais avare de démontrer à quel point la Vérité était son seul objectif.

On pourrait penser que Gandhi était moins pire que les colons impérialistes et capitalistes. Même en terme d'orientation politique moins pire que la voie de la colonisation, la politique de Gandhi a pavé la voie des désillusions et a protégé paradoxalement de tout son vivant la bourgeoisie coloniale qui le martyrisait, en calmant à tout prix les révoltes... par des jeûnes, des marches et des actes désobéissants individuels et symboliques. Il a ouvert la voie d'une énième domination mais de la même exploitation comme l'ont fait ses successeurs : Walesa (biopicisé), Mandela (biopicisé deux fois)... Sous le signe de la réconciliation nationale, de l'unification, si vous saviez comme on peut faire couler beaucoup d'attaques contre les conditions matérielles ! Quelle réconciliation peut-on trouver quand les tensions communautaires sont aussi meurtrières ?

Par conséquent, Gandhi, cousu de fil blanc avec ses 8 oscars et 3 Golden, apparaît comme un film sur la falsification historique et sur le culte de la personnalité au travers de son chef religieux. Pourquoi autant de talents doivent-ils être au service du mensonge ? Il aurait été tellement plus courageux de dresser un portrait plus ambigu, plus complexe.

J'ai une autre référence pour mon lecteur - recommandation : "La chèvre stérile" (1) de Murali Nair pour saisir ce qu'a changé Gandhi, c'est-à-dire... rien ! Les paysans endettés se suicident ; les castes, contraires à l'hindouisme existe toujours ; le désespoir est toujours aussi manifeste quand on voit les guerres religieuses dignes des gangs nicaraguayens qui opposent hindous et musulmans. Et au milieu de tout, le naxalisme et son corridor rouge.

Bravo Gandhi.
Bravo Attenborough pour cette lucidité conventionnelle,
pour ce beau pavé de la culture capitaliste dominante.

A quand un biopic sur le Dalaï Lama pour que je puisse démontrer que c'est aussi un de ces colosses aux pieds d'argile ? Ah pardon c'est déjà fait.

Note :

(1) Ma critique de la Chèvre stérile

Andy-Capet
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le 29 juil. 2022

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Andy Capet

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