So we beat on, boats against the current, borne back ceaselessly into the past.
Baz Luhrmann aime la démesure et n'a manifestement pas conscience qu'il verse parfois dans le ridicule. Gatsby ne fait pas exception par rapport au reste de la filmographie du cinéaste australien. Contrairement à l'adaptation très académique et sage de Jack Clayton, dans laquelle jouait Robert Redford, ici, rien n'est fait dans la demie-mesure. Pour les scènes de fêtes absolument titanesques décrites dans le roman, on ne peut pas reprocher au cinéaste d'en faire autant. Néanmoins, dès le début, il y a une impression de s'en prendre un peu trop en pleine figure. Musique omniprésente, plans qui donnent le tournis, défilé d'images bien trop rapides, le tout culminant dans une scène de beuverie avec Tom et Myrtle quasiment insupportable à regarder. Voilà, vous êtes prévenus, Baz Luhrmann en fait des tonnes. Et encore, je ne l'ai pas vu en 3D. On sent que le film est entièrement fait pour la 3D d'ailleurs, d'où des travellings particulièrement moches entre la maison de Gatsby et celle de Daisy ou des scènes horripilantes de voitures (hého, on est pas dans Fast and Furious, Baz!). L'esthétique a quelque chose de "clipesque", presque de jeux vidéo par moment. En regardant le film, on est loin du ravissement auquel on aurait pu s'attendre.
Heureusement, le roman original n'est pas trahi. On aurait pu croire que Baz Luhrmann s'en serve uniquement comme un prétexte pour déployer son univers kitsch et démesuré (Gondry, si tu m'entends....Boris Vian ne te pardonnera jamais mon garçon!). J'ai été extrêmement surprise de voir que le film est relativement fidèle au livre. Si Jordan Baker a un peu moins d'importance que dans l'oeuvre originale, les scènes clefs de l'histoire sont toutes là, les personnages plutôt bien campés. Luhrmann ne tombe jamais non plus dans l'excès inverse qui serait de suivre le roman à la lettre. Il sait s'en détacher, apporter son "style" et moderniser le roman. Oui, certains pesteront sur cette B.O qui ne comporte que des chanteurs et groupes à la mode (Lana del Rey, Florence and the Machine, the XX) qui ont peu à avoir avec la Lost generation. Personnellement, cela ne me choque pas. La musique s'accorde étonnement bien, à part quand on tombe dans le hip hop. Et puis, quand on aime les groupes choisis, ce n'est pas forcément déplaisant d'entendre la douce voix de Florence Welch par exemple..! La fidélité au roman se manifeste dans le traitement du rôle de Nick, plutôt réussi. Il est à la fois très présent dans l'histoire grâce à la voix off et en même temps spectateur - un brin voyeur ? - des évènements. On ressent très bien la fascination qu'il a pour Gatsby. La mise en abîme qui consiste à en faire un écrivain qui rédige "the Great Gatsby" n'est certes pas originale mais fonctionne. Et qu'il est agréable de voir les superbes derniers mots du roman apparaître à la fin du film....! Bref, Luhrmann ne trahit pas l'atmosphère de l’œuvre originale et sait quand même prendre quelques libertés par rapport à elle.
Dommage que le film fasse si souvent dans le kitsch, parfois à la limite du grotesque. La première apparition de Gatsby face à Nick est incroyablement ratée. Cette scène capitale est gâchée par un plan vraiment moche de Gatsby qui lève son verre en regardant Nick et où l'on voit des feux d'artifices derrière lui. Mais le film regorge par ailleurs de scènes particulièrement réussies. Les retrouvailles entre Gatsby et Daisy sont assez saisissantes : plus de musique tonitruante, plus de travellings fatigants, un ensemble enfin un peu plus épuré. La scène est à la fois comique et attendrissante. De même, la fin du film est très belle. Quand on a lu le roman, on la connaît bien sûr. Rien d'étonnant donc à ce que Gatsby se fasse tuer. Mais la scène est filmée sans trop d'artifices, sans musique larmoyante. Je n'ai pas été particulièrement émue par ce film mais j'avoue que cette scène m'a fait un petit pincement au cœur.
LA force du film, ce qui vaut vraiment le coup d'aller le voir, c'est DiCaprio. On ne l'a jamais vu dans ce registre et tout laisse à penser que ce rôle était fait pour lui. C'est peut-être même le rôle de sa vie. Il incarne parfaitement cet avatar du "self made man", au passé trouble, à l'optimisme fou et à la foi inébranlable en l'avenir. Évidemment, il est particulièrement beau dans le rôle, mais Redford l'était aussi, donc ce n'est pas là que tout se joue. Ce qui saisit encore plus que sa beauté, c'est la sensibilité incroyable qu'il laisse transparaître. Il est souvent aux bords des larmes dans le film, parle naïvement de son avenir avec Daisy et...qu'est ce qu'on y croit ! Cette vulnérabilité extrême est évidemment là pour attiser l'empathie du spectateur (de la spectatrice?). Heureusement, on ne tombe jamais dans le pathos. Carey Mulligan incarne aussi très bien cette Daisy cupide et frivole, de nouveau séduite par Gatsby quand elle voit ses belles chemises ("ohhhhhh these beautiful shirts"), symboles de tout l'argent qu'il a amassé. Cette scène est absolument ridicule d'ailleurs, mais elle l'était déjà avec Redford et même dans le roman. Si, je vous jure, relisez la, c'est à mourir de rire. Finalement, Daisy n'est pour Gatsby qu'un fantasme, qu'une rêverie élaborée à partir du passé. Il n'aime pas la vraie Daisy mais l'image qu'il a d'elle. En tout cas, le couple phare du roman fonctionne plutôt bien. Comme toujours avec ce réalisateur, c'est hyper romantique. On échappe néanmoins à la mièvrerie grâce au talent de ces deux acteurs. Le reste du casting fonctionne aussi très bien, avec Tobey Maguire plutôt convaincant en Nick.
Le film a ses défauts, bien sûr. C'est vraiment too much (pas étonnant quand on voit le budget du film). Mais il y a une vraie sensibilité, une humanité là dedans. Pour avoir fait honneur au personnage mythique créé par Fitzgerald, Baz et Leo, je vous dis bravo !
