Quand le réalisateur des hystériques, criards, tapageurs et crânement artificiels Moulin Rouge et Roméo & Juliette s'attaque au chef-d'oeuvre littéraire de F.Scott Fitzgerald, le résultat donne... un film hystérique, criard, tapageur et crânement artificiel.
La première moitié du film, la plus dure à passer, est un modèle du genre catastrophique, où chaque scène est montée à la manière d'un clip musical (soit une grammaire pourtant totalement différente) sur un des morceaux de la pétaradante bande originale, au pire hideuse (Jay-Z, Beyoncé, dafuq ?), au mieux trop bonne pour le film (Jack White, et surtout la fabuleuse Florence Welch), étouffant sa potentielle substance (= les scènes de dialogues, filmées comme Michael Bay filme ses robots géants)... à condition bien sûr qu'elle en ait une. Comme souvent chez Lurhmann, le mauvais goût agresse l'oeil (mention aux scènes de soirée, qui auraient davantage leur place chez Patrick Sébastien ou aux Mtv Music Awards), engoncé dans un New York des "roaring twenties" transformé en vulgaire décor d'un clip de Madonna, aussi faux et numérique que le Paris de Moulin Rouge (mention aux quotas ethniques, qui renforcent le sentiment de grand n'importe quoi).
Le spectateur lessivé appréciera la relative tempérance de la seconde partie du film, où l'essentiel de la tragédie de Gatsby se déroule (avec sa magnifique idéalisation du personnage de Daisy)... mais à l'exception de quelques instants de grâce, essentiellement joués entre Gatsby et Daisy, le sentiment d'artificialité prédomine, et ruine les quelques réussites du travail d'adaptation, structurellement pas trop mal fichu (à l'exception de cette idée de flashbacks avec narrateur, chiante et académique), mais incapable de restituer l'atmosphère d'urgence mélancolique du livre.
Pour le reste, l'emballage luhrmannesque émascule comme à son habitude une interprétation pourtant prometteuse, de DiCaprio, (inégal, tanguant entre perfection et mimolette), à Joel Edgerton (caricatural), en passant par l'insipide Tobey Maguire (vignette-témoin plutôt qu'observateur incarné), Isla Fischer (inexistante) et Elizabeth Debicki, grâcieuse révélation du film dans le rôle de Jordan, hélas sous-exploitée. Au final, seule la toujours impeccable Carey Mulligan parvient à vraiment tirer son épingle du jeu, en phase parfaite avec le matériau original, et amoureusement filmée par Luhrmann (voir son entrée en scène, derrière les rideaux ensoleillés). Ce qui devient une habitude, chez elle, surtout depuis son doublé Drive/Shame, deux des plus grands films américains de ces dernières années. Un bien faible lot de consolation.