Gelosia
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Film de Pietro Germi (1953)

Quand le cynisme et l'ironie sont les outils principaux d'un mélodrame d'une violence psychotique

Du spoil


Bien que Germi ne soit pas encore dans sa période "comédies de moeurs", on retrouve ici dans ce film un bon nombre d'éléments qui caractérisent les comédies de Germi, et, plus largement le cinéma de Germi. C'est un film remarquable, remarquable car il est formidablement construit, écrit, et filmé. C'est certainement l'une des oeuvres les plus puissantes de Germi.


C'est un grand mélodrame, mais un mélodrame qui ne vire jamais dans le larmoyant. Pire, c'est un mélodrame très ironique, empreint d'un cynisme d'une extrême violence. Ce film est avant tout brillant par l'écriture de ses personnages, et de leur destin. Il n'y a pas de manichéisme tout d'abord ; le meurtrier, Antonio, n'est jamais présenté comme un mauvais homme. C'est un homme très sensible, et l'expérience de l'amour-passion le propulse dans une folie exponentielle. Ce qui caractérise Antonio en vérité, c'est son manque de courage, sa peur. C'est pour cela qu'il tue, de peur d'Agrippina lui échappe... C'est pour cela qu'il ne se dénonce pas au profit de l'innocent condamné, par peur de la prison et du déshonneur. Mais il sait à quel point ses actes sont condamnables ; ainsi, Antonio se déteste, se hait, car il sait qu'il ne peut pas. Que ça le tuerait finalement. Et à chaque fois qu'il se résigne, qu'il se dit que c'est le moment, l'ironie du sort fait que cela échoue.


Et c'est en cela que le film est d'un profond cynisme. Le destin d'Antonio est déjà tracé, c'est un personnage très grec en fait, quoiqu'il fasse, il n'échappera pas à son destin. Lorsque la folie le gagne pleinement, dans le dernier tiers du film, l'oeuvre prend une dimension incroyablement forte et puissante. Antonio est hanté, Antonio ne veut que mourir, mais même ça, il n'y arrive pas. Quelque part, la fin est plus paisible dans le fond ; Antonio est déjà mort spirituellement, ne parle plus, il est déjà parti, mais biologiquement, il vit encore. Mais cette ultime rencontre avec Agrippina le tue totalement. C'est une délivrance ; il l'aime tellement qu'il a pu partir en sa présence, c'est comme s'il était retenu par son amour. C'est une fin remarquable.


Sur la forme, on a peut-être là le Germi le plus virtuose. La qualité de la photographie est remarquable, mais surtout, le sens du cadrage de Germi est exceptionnel. Les plans sont tous bien construits, les quelques plan-séquences alimentent la tension ou le malaise du spectateur. Les jeux de luminosité sont fabuleux et servent finalement une dimension quelque peu religieuse qu'il peut y avoir dans ce film. Son confident est prêtre, sa peur de l'amour et ses remords alimentent une nouvelle peur : la peur de l'acte divin, la peur de Dieu. Car Antonio en fait a surtout peur d'une chose dans sa vie : la peur du jugement. Antonio ne supporte pas être jugé, en témoigne ses réactions quand sa tante arrive et qu'elle désire le marier à quelqu'un de sa classe sociale. Ainsi, Antonio a encore plus peur du jugement judiciaire. Quant au jugement divin, c'est certainement l'une des origines de sa folie. C'est un homme tellement plein de remords, qui se rend compte de l'horreur de ses actes, mais qui est incapable d'affronter quoique soit ! C'est un portrait très dur que nous fait Giermi de cet être, être qui souffre également de sa classe sociale trop haute, une classe qu'il n'estime pas et dans laquelle il ne se sent pas à sa place.


C'est une incroyable expérience de cinéma ; Germi y traite un nombre important de sujet, et laisse place à une expression filmique inédite et unique ! Le maître italien réalise là un grand chef d'oeuvre qui joue avec les codes du mélodrame classique pour créer une oeuvre totalement singulière tant dans son propos que dans son univers purement cinématographique. Une très grande oeuvre

Reymisteriod2
8
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le 28 nov. 2019

Critique lue 225 fois

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