He paid the cost to be the boss...

Prince, Michael Jackson et Usher. Tous sont des enfants, des disciples et des émules de James Brown, le Godfather of Soul. Avec près de cinq décennies d’activité dans l'industrie musicale, James Brown aura été le porte étendard du funk et aura su se maintenir malgré l'avènement de différents courants musicaux et artistes tels que la Motown, Little Richard ou les Rolling Stones. Ultime pirouette et hommage que de constater que le producteur de ce biopic n’est autre que Mick Jagger, leader des Rolling Stones donc.

Le fil conducteur que l’on pourrait trouver entre les artistes cités en préambule (et auquel on pourrait y ajouter Ray Charles) et James Brown pourrait aussi tenir dans la genèse de leur carrière, la religion en l’occurrence. James Brown comme Ray Charles auront littéralement fait leurs vocalises sur du gospel, des chants religieux. Conscient du côté limité de l’audience touchée et soucieux de connaître une certaine renommée très vite, les deux artistes détourneront donc ces chants sacrés quitte à s’attirer les foudres des paroissiens. Idem aussi pour Usher qui intègrera petit une chorale dans une église locale. Et que dire de Michael Jackson et Prince, véritables ambassadeurs des Témoins de Jéhovah et qui même au firmament de leurs carrières seront des porte-paroles en hésitant pas à démarcher des adeptes en étant grimé. La religion donc pourrait être considérée comme le point de départ de la carrière de James Brown et l'Eglise, l'endroit idéal pour peaufiner et acquérir de l’expérience musicale.

Véritable ancre et phare de vies parfois tumultueuses (le biopic de James Brown le montre assez bien durant son enfance notamment), la religion, en particulier le courant évangélique, apparaîtra comme un recueil de principes de vie et de valeurs auxquels l’artiste se conformera avec une constance à la hauteur de l'ego de l'artiste : tantôt de manière méthodique, tantôt de manière assez personnelle et souvent de manière assez ostentatoire et extravagante. James Brown n’échappera pas à cet adage : persuadé qu’il existera un avant et un après James Brown (sorte de figure providentielle au niveau musical), conforté dans son rôle de prophète musical et de figure de proue d’une communauté en quête de visages charismatiques, l’artiste n’aura eu de cesse de susciter admiration, scepticisme mais aussi inimitié tant il avait un ego surdimensionné et était un narcissique exacerbé. Du coup si le parallèle avec la religion est somme toute original (mais pas tant que ça au final), la manière qu'aura eu James Brown de justifier sa réussite et son succès de par des voies impénétrables tombe finalement sous le sens et justifie cette trajectoire inhabituelle.

Ainsi, la prédestination sonne comme un leitmotiv pour l'artiste. L'anecdote concernant sa naissance ("mort" une fois à sa naissance avant de pousser finalement son premier cri, il ne pouvait que vivre donc) concentre toute la panoplie inhérente à l'artiste: orgueil (mal placé), légende fondée sur le fait d'avoir frôlé la mort et sentiment d'invincibilité face aux aléas de la vie. Du coup, James Brown est persuadé d'être l'élu, celui qui saura s'extraire d'une condition plus que précaire (au regard du contexte socio-économique durant son enfance). Et qu'importe si à l'époque à chaque communauté correspondait un genre musical et s'il était plus que difficile d'avoir une audience nationale. De fait, la faim justifie les moyens. Cette prédestination au succès ne se fera pas sans adversité et le protagoniste devra s'armer d’opiniâtreté, de talent...mais aussi de férocité. Férocité cependant justifiée (car permettant d'atteindre le but) et qui ne cessera d'alimenter au final un caractère omnipotent et quasi-despotique que ça soit avec son crew, ses concurrents, ses proches.

De même, le biopic nous montre combien l'artiste se sera réfugié dans le travail, l'érigeant comme condition sine qua non au succès. Face à sa mission, James Brown n’aura eu de cesse de peaufiner prestations, scénographie, chorégraphies, tracklist et instrumentalisation de ces morceaux. Avec un band à sa botte, l’artiste n’aura eu de cesse de les pousser à l’excellence, persuadé que le fruit de cette intransigeance portera le nom de renommée et succès. Et qu’importe si, in fine, les artistes sont peu ou pas payés. Sa notoriété est telle qu’il trouvera facilement un nouveau band qu’il saura façonner à sa guise. Véritable monstre de précision, à cheval autant sur la forme d’une prestation vocale que sur le fond (costume, enchaînement des chansons, danseurs présents), James Brown aura su bâtir sa réputation sur un souci d’excellence de tous les instants.

Ce travail est donc le salut de l'artiste. Né pour l'entertainment, n'ayant vécu que pour divertir et ne sachant que chanter/danser, James Brown ne cessera de faire progresser son capital artistique. Du coup, ce travail (quoique que cantonné à un seul genre musical et basé sur l'énergie et le seul sens du rythme de l'artiste) mérite rémunération. Comme le montre le biopic, l’artiste aura été l’un des premiers à associer les termes show et business. Exit donc le chanteur cantonné au tour de chant et encaissant bon gré mal gré des faibles pourcentages sur les ventes de 33 tours et la billeterie. Fini donc l'exploitation (dans tous les sens du terme) de l'artiste par un promoteur et la main mise d'une maison de disque sur la carrière de son poulain. Pour l’anecdote, Little Richard, que l’on voit dans le biopic, a dû attendre la fin des années 80 (et l’achat du catalogue des Beatles et notamment des chansons de Little Richard par….Michael Jackson) pour détenir l’ensemble des droits d’édition des chansons qu’il avait fredonnées, écrites, promues et défendues. Autre temps, autres mœurs donc. En associant l’organisation d’une tournée et la promotion d’un artiste/de ses chansons, certes le risque s’accroît mais les profits eux peuvent littéralement exploser comme le montre assez justement le film.

Et c'est peu dire que l'artiste aura su faire étalage de sa réussite, de sa notoriété, confondant entertainment et militantisme social. En véritable prosélyte, James Brown aura été un personnage central d’une communauté qui n'aura eu de cesse de se chercher des voix : Malcolm X, Martin Luther King, Black Panthers, Al Sharpton, Reverend Jesse Jackson…soit autant de personnages qui érigeront (avec ces bons et mauvais côtés bien évidemment) des personnalités des arts et du sport comme exemple pour la communauté afro-américaine. Le biopic le souligne d’ailleurs assez bien en montrant la posture adoptée par l’artiste lors de la guerre du Viêt-Nam, du décès de Martin Luther King…de l’entertainment certes, mais empreint d’un côté revendicatif plus ou moins insidieux. Pas étonnant de constater que ce sont ces mêmes Al Sharpton et Jesse Jackson qui présideront les obsèques de James Brown. Mais plus qu'un prosélytisme latent, James Brown aura prêché la bonne parole et l'impact de sa carrière sur la communauté afro-américaine: on peut parler d'une certaine évangélisation, un souci de faire de la success story de James Brown une référence, un point de repère pour des générations entières...en omettant bien sûr d'évoquer la part d'ombre liée à ce succès. L'artiste ira même jusqu'à "donner de sa personne" et à user de sa notoriété pour être l'incarnation, la figure artistique unissant de nouveau (tant musicalement que de manière civique) une Amérique si divisée: la scène du concert suite au décès de Martin Luther King en témoigne. Parallèlement à ces engagements sociaux, il n'aura eu de cesse de se poser comme le dénominateur commun des créations musicales à venir. L'alpha et l'omega de la musique, n'en jetez pas plus.

Alors, les 2h18 peuvent paraître vraiment longuet: cette manie de faire rimer biopic avec durée assez longue nuit quelque peu au genre. Tout comme ce parti-pris de n’évoquer qu’en surface le caractère assez revanchard et impétueux de l’artiste. Certes issu des bas-fonds de Georgia, ayant construit sa notoriété sur un talent apprivoisé et une voix reconnaissable parmi tant d’autres, l’artiste a pourtant eu un train de vie assez décousu : despotique, tyrannique, excentrique, dépensier et (très) volage (cf. la contestation du dernier testament écrit 10 mois avant sa mort en 2006 et qui ne reconnaissait donc ni sa « dernière » femme ni ses enfants), l’artiste aura mélangé démesure et mégalomanie. Et le film fait peut état de son rapport très controversé avec la gent féminine, ses multiples addictions ainsi que l’usage assez systématique de la violence. Du coup, le biopic évoque ici ou là les mauvais côtés de l’artiste mais tout ceci est bien (trop ?) dilué dans une entreprise d’hommage à un artiste majeur de la scène musicale du XXème siècle.

Du coup, de coût il en aura été question tout le long de ce biopic : le coût qu’aura payé l’artiste pour se hisser (de manière plus au moins durable) dans les artistes qui auront marqué leur temps. Dureté sans commune mesure pour atteindre les sommets, soif de régner en maître et d’être considéré comme un exemple. De fait, face à cette réussite, l’artiste n’aura eu de cesse de mettre en avant sa personne comme clé de cette réussite, quitte à se couper et s'isoler. Aussi, cette réussite mérite donc bien d'être célébrée quitte à tomber dans des excès de luxure, de gourmandise et de décadence. Et c’est sur ce point que le film n’insiste pas assez, à mon sens : face à une trajectoire atypique, le film tend à démontrer la vie quelque peu tumultueuse et débridée d’un artiste pourtant réputé pour ces excès en tout genre et un ego au-dessus de tout. Face à ce destin anormal, le film ne propose qu'une trajectoire quasi-proprette et une réussite normale et méritée. Dommage donc de ne pas avoir évoqué de manière plus subtile, et sans pour autant discréditer l’apport de l’artiste, l’autre versant de James Brown. Cet autre versant qui suivra l’artiste jusqu’à son décès : avec un cercueil en or comme ultime résidence, une traversée des plus kitschs à Harlem, une veillée à l’Apollo puis à Augusta devant un parterre de stars venus rendre un dernier hommage au Godfather de la soul, le point d'orgue de la vie de James Brown aura été à la hauteur de la démesure et du génie de l'artiste.

Enfin, je ne résiste pas à joindre en liens, les "preuves" évidentes de la« filiation» entre James Brown et ses "disciples" Prince (à partir de 1’42, quel solo guitare, http://www.youtube.com/watch?v=lHaFj7gOWh4), Michael Jackson (http://www.youtube.com/watch?v=tPwmMJMW2pM + http://www.youtube.com/watch?v=ZN48lsXL1oA) et Usher (une de ses dernières apparitions en 2005, à partir de 3’15, http://www.youtube.com/watch?v=aY6zpvqoojo)
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le 15 oct. 2014

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