"People should know when they are conquered.
Would you, Quintus ? Would I ?"


Effectivement, le saurait-on, lorsque tout est perdu, au bord du gouffre que représente notre mort, que celle-ci vient nous prendre pour ne plus jamais nous laisser repartir ?


Dans Gladiator, Rome, ou plus précisément son idée, est élevée au rang d'utopie. Ses conquêtes se font dans le sang et la sueur, mais également dans la noblesse de voir un jour un monde unifié, en paix. À l'origine de cette envie : Marcus Aurelius, Empereur décidé à laisser une marque sur cette Terre, lui qui se demande comment les générations futures se souviendront de lui. En réalité, et comme toutes les consciences ayant passé du temps dans le monde des vivants, Marcus cherche à tromper la mort et la peur qu'il en a, en atteignant une immortalité symbolique par la trace qu'il laissera de sa vie sur ce monde.


"What we do in life, echoes in eternity."


Seulement, l'approche de sa mort le rendant lucide sur l'impossibilité d'y échapper, l'Empereur décide de mettre de côté ses ambitions personnelles d'immortalité pour laisser place à l'idéologie parfaite que représente Rome dans le film, en suivant les préceptes du stoïcisme romain (rendu célèbre entre autres par... Marc-Aurèle), en se détachant de ce qu'il ne peut contrôler : sa mort. Il annonce donc à Maximus (le magnifiquement et justement sobre Russel Crowe) qu'il devra prendre sa succession, car lui seul permettra à Rome d'atteindre la grandeur qui lui est destinée. Pourquoi ça ? Simplement car Maximus aspire seulement à vivre avec sa famille de la façon la plus simple qu'une vie de général puisse offrir, ce qui le rend immune à la peur de mourir sans avoir accompli un fait de gloire lui permettant d'obtenir l'immortalité, restant gravé dans la mémoire de l'éternité. Un héros inébranlable face à la mort, et de ce fait incorruptible aux perversités de la politique.


Cette vie détachée de tout, dès le premier plan, est présentée comme l'Eden de Maximus. Il ne vit que pour retrouver sa famille, cette maison perdue au milieu des champs d'Espagne baignés de lumière quasi divine. Cette envie entre néanmoins en collision avec le rêve de tout Homme de voir Rome, symbole éternel de ce que l'existence a de mieux à offrir, sans que jamais aucun mortel ne l'ait atteint, devenir la norme à travers le monde qui, il le dit lui-même, est cruel et barbare. En bon stoïcien, Maximus acceptera de faire la guerre et de mettre de côté ses ambitions personnelles pour régler ce qu'il est urgent d'éradiquer : le vil instinct de l'Homme empêchant toute grandeur d'âme. Une fois cet objectif atteint, et Rome au sommet de tout, il pourra profiter de sa vie telle qu'il l'entend.


C'est sans compter sur Commode, fils de Marcus Aurelius, qui, si au premier abord apparaît comme un pleurnichard assez insupportable (génial Joaquin Phoenix), propose finalement une psychologie fine. Car en plus de ses motivations les plus claires, qui consistent à haïr le fait que l'Empereur ne voit pas en lui le successeur idéal qu'il souhaitait être, il souffre du même mal que son père : la vie est courte, et l'éternité grandiose. Pour l'atteindre, il faudra se frayer un chemin soi-même (notamment par l'inceste et l'envie d'une lignée "pure"). Son obsession pour l'amour du peuple, en plus de refléter celle qu'il avait pour l'absence d'affection de la part de Marcus, semble se faire outil pour arriver à cette fin. Commode n'est d'ailleurs pas dupe : en plus de la famine et de la maladie, le peuple souffre du même mal que celui des Empereurs, des soldats, des gladiateurs, et de tout autres humains : cette peur de l'idée même de la mort, qui dirige toutes nos actions, même de façon insidieuse. Pour la calmer chez ses sujets, le parricide, en fin psychologue et en toute ironie, décidera d'organiser des jeux à outrance en l'honneur de son défunt père. Divertissons le peuple ! Et ainsi nous le détournerons des questions existentielles qui l'amèneraient à questionner le pouvoir de leur souverain ! Pour Ridley Scott et ses scénaristes, la finalité de cette méthode est terrible : dans deux ans, le peuple sera condamné à mourir de faim, et ainsi à rencontrer une fin prématurée pour avoir refusé d'accepter leur funeste destin inamovible.


Maximus, étranger à ces considérations métaphysiques (ou plus exactement, il semble les avoir dépassées), se refuse pourtant à mourir. Vendu comme gladiateur, il fera ce pourquoi on le garde vivant. Ni plus (le divertissement tant demandé par son maître) ni moins (se laisser mourir). Il ira même jusqu'à prouver son attachement à cette terre en s'en enduisant les mains avant chaque combat. Son désir de vengeance n'arrivant que bien plus tard, la mort n'est selon lui pas à craindre, mais à repousser le plus possible.


"People should know when they are conquered.
Would you, Quintus ? Would I ?"


C'est seulement lorsque son deuil est effectué qu'il pourra commencer à nourrir son envie de vengeance envers celui qui a détruit à la fois son idéal de vie, mais également l'idéal de vie du monde. Pour Ridley Scott, l'immortalité ne se fait qu'au prix de notre idéal de vie pour nous même, en l'abandonnant pour stopper notre peur de la mort, et donc paradoxalement en l'embrassant de tout notre être.


"I will have my vengence, in this life or the next."


L'Empereur, dans une ultime scène dans le sous-sol de l'enfer, décide de tromper la mort en truquant son combat. Maximus prend en pitié la bêtise de son adversaire : Commode échouera à comprendre que l'immortalité ne s'acquière pas grâce à cette méthode. Le teint cadavérique, aveuglé par la lumière de la gloire, il ne verra pas qu'avant même d'entrer dans l'arène, il était, en réalité, déjà mort.

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le 5 déc. 2016

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