Il y a au moins trois films qui se déroulent simultanément dans cette nouvelle version "anniversaire" de Godzilla. Et dans ces trois films, il y en a un que j'aime beaucoup, un qui m'indiffère voire m'agace, et un que je déteste.

Il y a donc d'un côté un blockbuster catastrophe / sf / film de monstre américain qui a un cahier des charges à remplir et une tonne de clichés à satisfaire. Aligner des acteurs bankables, quelques stars indés ou branchouilles pour rameuter geeks et cinéphiles, des guests qui feront une micro apparition et le tout dans une distribution téléphonée. Aaron Taylor Johnson toujours plus difforme et moins expressif joue donc le gros bras de service, peut-être le héros le plus insignifiant de ce genre de film depuis une éternité. Juliette Binoche fait coucou pendant maximum cinq minutes. Bryan Cranston dure un peu plus longtemps mais son rôle est dramaturgiquement similaire à celui d'Alexander Skarsgaard dans Battleship, c'est dire. Et puis on voit aussi un quart de seconde Jaime Lannister. Franchement, côté casting, c'est du gros WTF. Johnson n'a aucun charisme et son personnage ne fait que d'être trimballé ici et là de manière totalement passive et incohérente pendant les trois quarts du film. La musique de Desplat est très souvent pompière, il y a des effets attendus totalement ratés et les scènes de blabla militaires pseudo techniques sont interminables. Je ne parle pas des dizaines d'incohérences qui en découlent, c'est assez sidérant. Ah, et le happy end bien senti aussi c'est juste abusé après un film aussi proche par moments du nihilisme.

Bon, ça c'était tout ce que je détestais. J'oubliais une 3D inutile dès que les kaijus sont invisibles, du beau foutage de gueule ça aussi/.

A l'opposé, on trouve un film qui s'inspire de classiques du cinéma japonais et qui investit d'une manière assez belle un personnage mythique. Le Godzilla qu'on nous montre ici ressemble au vrai Godzilla et il est finalement investi d'une charge plutôt positive. Le film est par ailleurs assez malin dans la manière dont il dévoile ses créatures : le générique et l'ouverture sont très beaux, et j'adore tous ces plans où l'on voit depuis une ouverture dans les décombres ou derrière une vitre ou dans un reflet une partie de la bête ou les dégâts qu'elle a causés. La force du film réside dans la grande beauté de la mise en scène de ces quelques instants, et dans l'inventivité de certaines démonstrations de force : attaques de pont, combats, accouplements (!), ou skydiving au dessus d'une ville en proie au chaos. Les parasites sont très cool et le début du film où on attend Godzilla et on se retrouve avec la puce de Godzilla est assez excitant. Le film est plutôt respectueux par ailleurs des codes du kaiju eiga, avec un bon nombre de plans où c'est juste du karaté entre grosses bêbêtes au milieu des buildings, et son lot de feintes et d'attaques surprises.

Et puis il y a la rencontre de ces deux versants du film, la couture et ses choix hasardeux, tantôt audacieux, tantôt exaspérant. Tuer deux personnages qui auraient pu être centraux d'emblée ou presque, pour laisser un héros totalement insipide aux commandes. User jusqu'à la corde des effets de surprise et de retard dans le moment où l'on verra enfin Godzilla (mais quand on le voit enfin, ça en jette !). Mais également jouer intelligemment des lieux : Japon, Las Vegas et quelques autres jolies trouvailles sur le passage de la bête. On déplore toutefois le manque d'humour et le grand sérieux du ton. Quant au discours sur le nucléaire, c'est une idée que l'on trouve à la racine du mythe mais qui est grossièrement utilisée dans le film. Quelques séquences au début font écran et rappellent des grands moments du cinéma japonais (jusque Dreams de Kurosawa) mais ce discours quasi new age sur une nature qui produirait elle-même les conditions de son retour à l'équilibre, c'est friser l'inconscience. Je préfère quand le film établit un lien direct entre l'utilisation du nucléaire et la dangerosité des monstres qui se nourrissent de sa puissance. Il y avait là quelque chose à creuser, sans chercher une vague explication paléontologique qui ne se tient aucunement.

Globalement on passe toutefois un bon moment grâce à des séquences d'émerveillement visuel absolu, mais il faut faire abstraction de la stupidité de l'ensemble. Dans le genre je préfère tout de même le beaucoup plus fendard et second degré Pacific Rim, qui a l'intelligence et le bon goût d'assumer son héritage tout en ayant conscience de la nature de son propre spectacle, quitte à le tourner en dérision. Ici, on accuse des problèmes de rythme à cause du ton souvent trop empesé et monolithique de la chose, c'est dommage.
Krokodebil
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le 14 mai 2014

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