La faim nuit gravement aux liens du sang

Mon attente pour Grave était immense. Les critiques et réactions étaient dithyrambiques. Des spectateurs se seraient évanouis durant la séance (on découvrira plus tard, qu'ils s'ennuyaient devant ce film et ce sont tout simplement endormis), d'autres ont été secoués (surement un léger tremblement de terre) et certains auraient quitté la salle face à la violence des images (en fait, ils avaient juste faim ou besoin de se rendre aux toilettes). Le film de genre à la sauce ketchup franco-belge, ne trouve toujours pas écho dans mon esprit retors dans cette nouvelle approche dans le domaine de la découverte du corps, de sa sexualité à travers le cannibalisme et ses inconvénients d'ordre social.


La glaçante scène d'introduction est prometteuse. Une personne marche le long d'une route de campagne. Une voiture fait son apparition. La personne a disparu, puis fait son retour en se jetant sous les roues du véhicule. Celui-ci finit sa route contre un arbre et cette mystérieuse personne se relève se dirigeant vers la voiture accidentée. GRAVE apparaît en rouge sur fond noir en prenant tout l'écran. L'angoisse est palpable, on vient d'assister à un moment d'une froideur implacable. Je suis scotché à mon siège, reposant mes sucreries et mon soda, en me disant que je n'aurais plus l'occasion de les déguster durant la séance. Fausse alerte, car sans le savoir, je viens d'assister à la meilleure scène du film.


Garance Marillier est éblouissante. Elle bouffe littéralement l'écran, mais n'illumine pas ses médiocres partenaires de son talent. La réalisatrice Julia Ducournau en a fait son actrice fétiche dans ses précédents courts-métrages. Cette relation se poursuit logiquement sur grand écran. Il faut dire que Garance se donne corps et âme dans cette oeuvre aussi fascinante, que gênante.


C'est une élève prodige, suivant les traces de ses parents et de sa grande sœur, en voulant être vétérinaire. En entrant dans cette école, elle va faire face à un bizutage. Cette humiliante tradition est perpétuée par les précédentes victimes, reproduisant le même schéma que leurs agresseurs. Elle est censée permettre aux nouveaux de s'intégrer et de créer des liens forts entre eux. C'est surtout une manière de prendre l'ascendant psychologique sur eux et de faire le tri entre les faibles et les forts. Cette sélection; pas vraiment naturelle; se fait au détriment de la sensibilité et des croyances de chacun. Elle va avoir pour conséquence de réveiller les instincts primitifs de l'héroïne. La victime va se transformer en une prédatrice découvrant son corps et sa sexualité.


La mère (Joana Preiss) a une forte personnalité. La sœur aînée (Ella Rumpf) a hérité de son caractère, alors que Justine (Garance Marillier) est une jeune femme introvertie. Elle se retrouve avec un coloc gay (Rabah Naït Oufella), alors qu'elle avait demandé une demoiselle, celui-ci va lui rétorquer "un gay, c'est comme une fille". On peut débattre longuement de cette affirmation, mais ce qui est certain, c'est que Justine ne voulait pas d'une personne de sexe masculin avec elle. Cela fait trop de changements dans son univers. Elle en est perturbée, au point de ressentir du désir envers lui. De nouvelles sensations s'éveillent au creux de ses reins, elle ne sait comment y faire face et ne peut compter sur sa sœur aînée. On sent de la jalousie de sa part, sauf quand l'alcool apaise les tensions et la désinhibe. Elle peut lui apprendre à uriner debout, avant de prendre son rôle d’aînée trop à cœur. La scène d'épilation, avec le chien reniflant l'entre-jambe de Justine est absurde. L'accident et la conséquence de cet acte, ne va pas arranger son cas et la suite ne sera qu'une longue suite de moments saugrenus.


Le film agit comme un aimant. On a beau trouver certains moments ridicules, surjoués ou grand-guignolesque. On a tout de même envie de savoir comment cela va se finir. Les corps se mélangent, chacun cherche sa sexualité, se teste et flirte avec la consanguinité. Le malaise ne se fait pourtant pas ressentir. Le gore ne me coupe pas l'appétit. Le regard de Justine est puissant, elle m’envoûte, me séduit et semble être le jouet de sa réalisatrice, la poussant dans ses retranchements. La performance est impressionnante, le film pas vraiment.


Son interdiction au -16 ans est une aberration, vu que le long-métrage s'adresse aux adolescents, à leurs interrogations sur leurs corps et la sexualité. Les morceaux musicaux doivent leur parler, même si la nécrophilie, ce n'est pas très sexy. Les plaisirs de la chair, l'éveil des sens, la transgression des interdits et la recherche de son identité, sont des thèmes maintes fois abordés au cinéma. Mais sous l'influence organique de David Cronenberg, il se raconte différemment. Malheureusement, Julia Ducournou ne parvient pas à égaler le maître et encore moins à le dépasser. Sa caméra se veut transgressive, mais ne veut pas entrer dans une case et oscille entre le drame, la comédie et le gore. Le cinéma sud-coréen adore le mélange des genres et sait rendre l'ensemble cohérent. Le film ne va pas y parvenir. Autour de Garance Marillier, on retrouve des personnages caricaturaux. Enfin, ils ne sont pas nombreux. On doit se contenter du quota gay devenu incontournable dans les séries et au cinéma, comme le noir, l'hispanique ou asiatique, ce qui correspond à un marché. On nous le présente rapidement comme étant gay, fait-on de même pour un hétéro? Non, on ne voit jamais un personnage débarquant et criant son hétérosexualité. Sa sexualité sert le film, mais on a pas besoin de connaitre son orientation dès sa première apparition. C'est devenu une norme, un arc dramatique et cela en devient banal. C'est à l'image de la violence du film et de son propos. Tout cela semble dérisoire face aux précédentes œuvres dramatiques et gore d'un autre siècle.


C'est une déception, tout ça pour pas grand chose. La réalisatrice Julia Ducournau a du talent, c'est indéniable. Le film est visuellement intéressant, même s'il se veut parfois prétentieux. Mais il va falloir tuer le père David Cronenberg et se créer son propre univers. J'ai envie d'y croire, de revoir Garance Marillier s'épanouir devant mes yeux et de l'entourer d'un casting à la hauteur de son charisme, pour éviter d'être éclipsé par son talent. Un coup pour rien, en attendant la suite des aventures cinématographiques de ces deux femmes.

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le 15 mars 2017

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Laurent Doe

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