Le thème de l'acceptation de soi rejoint le thème du cannibalisme, donnant une réflexion centrée sur ce qui est la transgression, sur jusqu'où elle peut aller. Les deux sœurs qui se rendent compte qu'elles ont les mêmes pulsions finissent par se comprendre très intimement, et mettent en place des comportements parallèles, symétriques jusque visuellement.


Elles s'entre-dévorent comme moyen de communication, comme le montre une des dernières scènes, lorsque, séparées par la vitre d'un parloir en prison, elles se montrent leurs cicatrices respectives dont l'autre est responsable. Ainsi, cette histoire de famille est une histoire de partage d'un déterminisme dont le problème n'est pas réglé : à la fin, il reste toujours à Justine a trouver une solution, là où ses parents et sa sœur ont échoués.
Cette absence de solution finale est d'autant plus angoissante.


Transgression et déterminisme, voilà donc un duo étonnant et original. L'idée de libération de la femme va de paire avec les angoisses de la découverte de soi, mais aussi avec l'image de la prison dans les dernières scènes, lorsque la transgression est enfin contenue, du moins en partie. Parler de film féministe est dès lors difficile : les femmes de cette famille sont à la fois libérées, elles ont le dessus sur les hommes en tout point, mais aussi enfermées, en tous les sens possibles. La force de ce film est sans doute de nous laisser avec tous ces paradoxes et toutes ces interrogations, tout en nous faisant revivre les moments de la découverte de soi, une découverte de soi qui fait peur, qui affame, dont on ne connaît pas les limites au moment où elle se produit.
La réalisatrice réussit donc ces paradoxes de manière exemplaire, et les décline de manière inspirée. Le thème de la santé est aussi présent lors de la scène chez l'infirmière, mais il est immédiatement associé à un court récit parallèle qui montre que le soin est relatif, qu'on ne soigne pas tout, seulement ce qu'on peut voir et ce qui est acceptable. Dans le cadre d'une école de vétérinaire, et dans celui plus vaste d'une école de médecine, le soin devient quelque chose dont on veut se défaire quand l'heure est venu de se détendre, si bien que de futurs médecins deviennent ceux qui s'empoisonnent en mangeant des abats crus. De manière plus significative, on accepte le cannibalisme de Justine et de sa soeur sans les soigner. Ainsi, le personnage d'Adrien comprend qu'elle est différente et dangereuse mais l'accepte. La scène de leurs ébats où elle menace de le mordre pour finalement se mordre elle-même ne semble pas l'effrayer, mais plutôt réveiller entre eux des questions uniquement sexuelles. Ce personnage, qui a déjà fait le chemin de s'assumer lui-même, se trouve alors pris entre les deux sœurs qui se cherchent et se trouvent toutes les deux prises de désir pour lui, jusqu'à ce qu'il en paie le prix, sans pouvoir rien empêcher. Ce personnage témoin agit donc comme leur miroir, il est l'homme, l'autre, qui n'aime que les hommes, donc a priori sorti de leur monde de femme, l'innocence aussi, malgré les scènes de sexe qui l'impliquent, il est la part d'humanité de Justine quand Alexia est sa part d'animalité.


Mais si Justine se refuse à lui faire du mal malgré son désir évident, c'est aussi par sa faute qu'Adrien est tué puisqu'elle laisse la porte ouverte à Alexia durant la nuit après avoir pourtant pris la clef de la chambre dans laquelle celle-ci reste. On pourrait donc aller jusqu'à dire qu'Alexia représente les démons de Justine, et qu'en leur laissant la porte ouverte, elle laisse libre cours à ses pulsions : Alexia dévorant Adrien serait alors l'image de l'inconscient de Justine qui s'est déployé pendant qu'elle dormait, ce qui explique qu'elle n'ait pas agi durant cet assassinat alors qu'elle dormait à côté de son ami.


Reste à s'interroger sur le titre du film. Grave - Raw, soit "cru" en anglais - est certainement une interrogation sur ce qui est interdit, ce qui est "grave", dans la mesure où la plupart des transgression sont d'une certaine manière acceptées. Mais ce titre évoque aussi l'admiration et le désir si on se réfère à l'expression "grave" dans le 'langage jeune', qui fait office d'adverbe d'intensité ("c'est grave bien"). Là encore, on peut parler d'un beau paradoxe.

LisaBretzner
8
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le 5 avr. 2017

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Lisa Bretzner

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