Paradoxe: La 3ème dimension sans profondeur.
On lit beaucoup que ce film donnerait enfin un sens à la 3D. Mais personne ne le démontre.
Il me semble au contraire qu'encore une fois le procédé stéréoscopique, qui est loin d'être neuf, associé ici surtout à une utilisation systématique de l'image de synthèse ne cherche qu'un seul but, identique à tous les machins hollywoodiens récents: vous en mettre plein la vue.
Alors oui, la caméra tourne dans tous les sens. Mais ça, on le doit aux graphistes qui ont fabriqué la quasi-totalité de ce qui est visible sur l'écran, et non à l'utilisation spécifique de la 3ème dimension lors de la prise de vue et de la projection en salle.
Comme toujours la vision stéréoscopique, ne vaut alors que par ses outrances, révélée encore et toujours par la faible profondeur de champs.
Dans une image photographique on nomme "profondeur de champs" la partie nette de l'espace représenté.
à l'avant plan ou en arrière plan de cette zone nette commence le flou qui s'accentue plus on s'éloigne de cette zone.
Depuis l'invention de la photographie, on sait que ce paramètre optique, donne une impression de profondeur dans l'image qui ne comporte que 2 dimensions. Une illusion de troisième dimension.
Depuis l'invention de la photographie on sait donc orienter le regard du spectateur par ce procédé autant que par la composition du cadre ou l'éclairage. Ce qui est net dans l'image attire l'oeil immédiatement. Le flou ( artistique ou non ) sert de faire valoir à ce qui est net.
En 2D donc, les images ont déjà une profondeur.
Or Gravity, avec toute sa 3ème dimension effectivement très spectaculaire ne fait finalement rien de plus: orienter notre regard sur la larme en suspension en faisant le point sur elle, en faisant le flou sur le visage de Ryan. Le fait de pouvoir apprécier la distance précise entre ce visage flou et cette larme de synthèse nette grâce à la vision stéréo ne représente au fond qu'un très faible intérêt.
De même pour les rotations autour des personnages. Elles ne révèlent rien. Ce trajet spécifique de caméra qui devrait donner à voir, à sentir, presque, les volumes, les distances relatives entre les choses et les gens tombe à plat: Les corps se détachent constamment du décors dans lequel ils évoluent, entourés d'une mince pellicule de flou. Et pour cause, leur silhouette n'a jamais évolué qu'environnée de fonds verts. Le procédé d'incrustation entre image des comédiens et images de synthèse est un véritable obstacle à l'impression de réalité visée par l'utilisation de la vision stéréo.
La sensation recréée d'une 3ème dimension n'aurait d'intérêt selon moi que dans un véritable décors. Dans un environnement familier, identifiable, dont les textures, le relief, les reflets, ne seraient pas calculés par des ordinateurs, mais captés sur le réel. Tout le travail connu en matière d'optique, de perspective des décors, de lumière accentuant encore la profondeur, est ici laissé à l'abandon, puisque toutes les distances physiques qui séparent les corps des comédiens et les objets qui les entourent sont artificielles.
Une véritable réflexion sur ce moyen technique devrait amener à penser la mise en scène de façon spécifique. Qu'est-ce que ce la révélation de cette profondeur, de cette distance physique entre les objets et les corps peut amener de sens, de profondeur de pensée ?
Non, encore une fois la 3D n'aura servi ici qu'à nous donner le vertige, à nous faire sursauter.
Les trucs qui vous arrivent dans la figure et que vous cherchez à esquiver au dernier moment…
Il me semble pourtant que déjà, en 1895, les frères Lumières avaient réussi le même coup, involontairement et sans 3D: Peur panique dans le public à la projection d'une image. Celle d'un train qui fonce vers la caméra en gare de la Ciotat. (c'est ce que rapporte du moins la légende)
Au final, un simple moyen de ramener aux salles obscures les éternels adolescents que l'on voudrait faire de nous: amateurs de jeux vidéos et autres sensations fortes (on parle du vertige que provoqueraient des montagnes russes plutôt que celui d'une découverte philosophique ou d'une révélation existentielle ). Mais ce qui fait le sel de l'adolescence (l'exploration tous azimuts des limites de notre corps en transformation) n'a plus beaucoup d'intérêt lorsqu'on essaie de penser et de vivre en adulte. Surtout, la sensation forte, aussi riche soit-elle en émotion, finit par lasser l'esprit qui cherche alors plus loin, plus en profondeur: le sens.
Je ne m'étendrai pas sur le récit banal du film, commun aux films catastrophes, mais en huis clos, pareils à tous les autres récits de survie. L'ennui justement, nait du fait qu'il n'y a ici aucune rencontre de l'inconnu, c'est à dire aucune 3ème dimension narrative.
Le trajet du personnage est linéaire et la course contre la montre parfaitement régulière pour aller en ligne droite vers la résolution attendue. Les histoires de naufrage sont intéressantes mais encore faut-il avoir quelque chose à dire, une certitude à laquelle se confronter, un monde à faire basculer (et pas seulement en tournant la caméra…) Bref: une situation inédite à résoudre. Mais Ryan ne fera que suivre ses tripes et le manuel, tout ce qu'elle connait déjà par coeur… Ce qui la sauve au final c'est de se retrouver elle-même. Robinson ne rencontrera pas Vendredi.
Alfonso Cuarón a beau adroitement tenter de nous montrer que, pour Ryan, ce flirt avec la mort fut une renaissance… -Ouah le symbole quoi ! En fait si t'échappes à la mort c'est comme si tu gagnais une seconde vie ! C'est fou non ?
Du film ne reste que l'apesanteur comme clou du spectacle et la pesanteur comme système de mise en scène.
Gravity est un film lourd, mais certainement pas de sens…