Texte originellement publié sur Filmosphere le 27/04/2016.
http://www.filmosphere.com/movies/green-room-jeremy-saulnier-2015
La violence est un cycle infernal que la société américaine ne manque pas de mettre à jour lors de chacune de ses ères. Green Room est l’un de ces nouveaux essais sur le thème, façon brut de décoffrage. Sans concessions, le solide exercice de style de Jeremy Saulnier porte pourtant les stigmates de cette nouvelle génération : la maîtrise du style devant la réelle interrogation du sujet, comme s’il ne s’agissait que d’un commentaire de l’œuvre des plus grands. Habile, mais risqué.
Souvenez-vous de l’ouverture des Chiens de Paille de Sam Peckinpah : la caméra du cinéaste passait au microscope ce semblant de société rurale. Le film en lui-même, bien que genré d’un certain point de vue, par-ci le survival, par-là le western, demeurait bel et bien une étude sociale, voire même anthropologique . Évidemment, Jeremy Saulnier a bien vu et revu l’œuvre du maître américain, au point que l’on puisse considérer l’un comme une prolongation de l’autre ; l’histoire d’individus normalisés mais considérés comme parasitaires, défendant une place forte au sein d’un corps bouffé par une sur-violence sociétale. Green Room se taille comme une excursion dans les abîmes d’une communauté de punks néo-nazis, confrontant l’extrémisme que l’on aimerait croire d’un autre âge à la réalité de l’Amérique contemporaine.
C’est sans doute dommage que le mécanisme principal du scénario ne repose que sur une chronologie du hasard relativement forcée, celle qui voit ces jeunes musiciens tomber involontairement sur le crime qu’ils n’auraient pas du voir. Mais plus généralement, c’est un reproche qu’il faut adresser à l’ensemble du script, dont les engrenages ne sont que trop fonctionnels, trop artificiels, pour justement servir l’exercice de style que Saulnier met en place. De la sorte, il contrôle son univers et sa violence mais désamorce une partie du travail de fond dans l’écriture. C’est sans doute un choix qui s’explique selon l’auteur et l’orientation de son film, mais peut-être dommageable au vu de ce qu’il aborde et de la référence dont il se targue, une arme toujours à double tranchant.
C’est sur le travail d’ambiance qu’il faut se concentrer. Parce que justement Saulnier maîtrise chaque élément de son cocktail sanglant, il cultive l’atmosphère qu’il souhaite. Si la mécanique scénaristique est alors courue, l’air anxiogène au sein de ce bar puant est une autre affaire. Là, dans la sombre et glauque crasse, le réalisateur taille tout l’intérêt de son style, comme un disciple d’une Americana alternative, s’opposant à celle peut-être plus lumineuse de Jeff Nichols, appartenant d’ailleurs à la même génération. Les modestes rêves de ce petit groupe de hard rock s’y brisent, étalés sur le vert maladif de leur loge, futur précaire bastion de survie.
Dans son jeu d’apparences, Saulnier table évidemment sur l’une des qualités les plus notables de Green Room : Patrick Stewart. L’intérêt ne porte pas tant sur le fait que l’acteur soit savamment dirigé, mais plus exactement, directement sur son choix. Il s’amuse de la figure iconique qu’il reprend, transformé ici en ce qui pourrait être le patriarcal leader d’une famille dégénérée. La force tranquille qu’il dégage est en réalité terrifiante, car finalement, toutes les exactions, ou tout du moins une partie significative, de ce petit monde laid et ultra-violent, découlent de ce petit père aux airs parfois attendrissants. La dérive sociétale est insidieuse, terrée dans un homme somme toute très commun, avec ceci dit un sens du pragmatisme sans doute différent de la norme.
En s’inscrivant dans la case des réalisateurs contemporains qui portent un regard d’esthète, voire de calculateur, sur la violence graphique, Jeremy Saulnier emprunte, à certains égards, un chemin balisé. Il fait de Green Room un film double mais réussi de manière hétérogène selon ce que l’on est venu chercher : un thriller d’intérieur anxiogène et ultra-violent ou alors le portrait inachevé d’une société en roue libre, ce qu’il aime croire en tant qu’auteur mais transparaissant peut-être moins que cela ne devrait dans le métrage. Peut-être qu’après tout, une virée en Enfer ne se refuse pas, une fois de temps à autre. Avis aux amateurs susceptible d’apprécier le cuir lacéré à coups de cutter.