Il y a beaucoup de choses à dire sur ce film. Mais la première est que je regrette profondément de ne pas avoir fait l'effort d'aller le voir au cinéma. Merci la diffusion chaotique et très restreinte en nombre d'écrans. Bref, j'ai les boules de découvrir seulement maintenant ce qui est le deuxième meilleur film de Michael Mann (Collatéral reste indétrônable, faut pas déconner).


Hacker (qui est un titre français intelligent) ou "Blackhat" en VO, raconte une traque, celle du FBI et des services secrets chinois pour retrouver des hackers ayant réussi à foutre en l'air une centrale nucléaire chinoise et tenté de faire de même aux États-Unis. Le tout étant de connaitre leurs intentions et de tout faire pour les arrêter.


Le film est une énorme tuerie pour trois raisons: tout ce qu'on vous en a dit est faux, la réalisation et le scénario qui est d'une intelligence rare de nos jours. Tout ce qui nous est raconté est cohérent et surtout "réaliste", c'est à dire pas de résolutions miracles ou de plans clichés sur l'informatique (coucou le syndrome "barre de progression" sur écran). On voit du vrai code à l'écran, les personnages ne racontent rien d’incompréhensible mais parle simplement de choses à priori compliqués. C'est le premier film sur le monde du hacking qui sait se montrer franc et limpide. Bien sur que le code à l'écran est incompréhensible pour le commun des spectateurs, mais on s'en FOUT ! Parce que Michael Mann nous fait comprendre les enjeux par la réalisation. L'un des premiers adages de cinéma est: "Vous voulez expliquer quelque chose ? Montrez le". Et devinez quoi ? Le film nous montre des petits signaux électriques dans des plans entièrement en CGI (chose RARISSIME pour le réalisateur) qui dévient de leurs trajectoires pour aller là où ils ne devraient pas aller. Quelque chose cloche dans le signal électrique, induis par le pressage de clavier d'un homme dans une pièce différente. C'est l'induction simple d'un plan à un autre, on fait le lien, "fusil de Chekov", etc...


Parce que, et c'est dingue de s'en rendre compte avec ce film, Michael Mann utilise les simples procédés éculés du cinéma pour expliquer des choses qui semblent compliqués. Et je me demande: Pourquoi aucun réalisateur n'a pensé à ça avant ? Pourquoi vouloir forcément balancer des dialogues éculés qui font croire que c'est compliqué alors que c'est simple ? C'est un long débat, mais c'est surement pour montrer à la face du spectateur son ignorance du sujet et lui faire ressentir que sans le personnage, jamais on aurait résolu le mystère (Effet Les Experts, Dr House, Mentalist, etc...). Là où on gagne en mise sur piédestal du personnage, on y perd en personnification. Mann n'utilise donc pas ce procédé, et rend les choses plus simples. Il donne la mise en piédestal du personnage par les mises en situations du scénario et la mise en scène. Et c'est beaucoup plus digeste d'un coup, et beaucoup plus fort, et beaucoup plus subtil. Les séries ont amenés beaucoup de choses, mais ce film fait ressortir ce qu'on a perdu aussi dans le procédé.


Looooooongue digression, mais utile pour montrer à quel point ce film est précieux pour sa mise en scène de cinéma. La relation entre Nick Hataway et Lien Chen se joue sur 4 plans, mais ils sont superbement filmés, dosés dans le montage et incorporé à la timeline qu'on y croit. De même que la temporalité est extrêmement clair alors qu'aucun surtitre d'heure, de jour ne vienne nous le rappeler. J'en viens à adorer des principes simples de cinéma qui sont normalement évidents mais qui ont petit à petit disparus des productions actuelles. Comme les set-up / pay off qui sont d'une redoutable efficacité. L'utilisation des ralentis qui sont toutes justifiés et qui servent la mise en scène et la dynamique du récit (à contrario de l'utilisation de plus en plus putassière de celui-ci pour créer des plans iconiques à la truelle). Sauf que ce film en fait un, par son arrivée inattendue, son choix du cadre qui se révèle incroyable et donc son ralenti inattendu. Le film réussit tout, ou presque...


Sa symbolique n'est peut être pas assez appuyé par sa réalisation. J'ai été déçu par la scène finale, qui même si elle reste totalement "Manniesque", ne frappe pas assez fort pour ressortir son analogie entre les données de l'ordinateur et la foule défilante dans la rue. J'aurais vu la même valeur de plan entre celui dans les ordinateurs et celui de la foule. Une simple idée de réal, la seule pour laquelle j'ai trouvé qu'il manquait à ce film pour être "parfait". Je me vois mal faire la leçon à Michael Mann sur la réalisation, mais ressentir le besoin d'un plan comme celui là devant un film est je pense la preuve qu'il manquait quelque chose. Trois fois rien, mais ce sont ces "trois fois rien" qui font d'un film un chef d’œuvre.


Je pourrais en parler encore longtemps, élucubrer sur la direction photo numérique absolument sublime, déblatérer sur les iconiques plans du réal en contre-plongée de personnages armes à la main, soulever la minutie formelle des plans à l'épaule, rallonger mon texte sur le rythme et le choix du découpage. Je pense, j'espère, je veux que ce film devienne un classique avec le temps, un film qui tel les Hitchcock seront décortiqués, analysés, revisionnés pour y voir tout ce qui fait l'incroyable sel, la tension de l’œuvre. Parce que tout ce parti pris formel vous tiens à votre siège comme une camisole de force. C'est un tour de force non reconnu à sa valeur. Ce n'est plus une recommandation, c'est une obligation. L'un des meilleurs thrillers noir des 20 dernières années.

Yellocrock
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le 8 juil. 2015

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