Tout comme Picasso "savait" peindre (c'est à dire pouvait, aux yeux de monsieur tout le monde, dessiner le portrait ressemblant d'un modèle), Gus Van Sant "sait" raconter une histoire de manière classique. Seulement, au lieu de déclarer, comme on le lit ici ou là, qu'il rompt avec sa quête "arty", il serait plus judicieux de convenir qu'une fois encore, le réalisateur de Portland adapte sa narration au sujet. Quel que soit son parti pris, sa maîtrise est telle que celui-ci devient évident. Ici, il fallait retranscrire des faits réels, exposer un contexte, faire comprendre une démarche.

Aidé en cela par un scénario habile, Gus Van Sant procède par touches successives sans céder aux trompettes du biopic pompier ponctué de scènes édifiantes. Il dresse le portrait d'un homme et de son combat. Assis à sa table de cuisine, cet homme se raconte au cas où il se ferait assassiner. Plongeant dans les années 70 dont il reconstitue l'ambiance visuelle et cinématographique sans jamais verser dans le vintage, Gus Van Sant s'attaque à un fait d'histoire contemporaine : celui de la première élection à un poste de responsabilité d'un homme ouvertement homosexuel. C'est le moment précis où les homosexuels relèvent enfin la tête après des années de clandestinité et d'humiliations. Le combat d'Harvey Milk et de ceux qui l'accompagnent, est une lutte pour la dignité, une lutte pour la vie, pour leur vie, comme lui-même le souligne. En arborant le coming-out comme arme ultime (pour que ceux qui les nient sachent à qui ils ont affaire, mais aussi pour que chaque citoyen sache qu'il connait un(e) homosexuel(le)), Harvey Milk aborde la lutte en politicien stratège et éclairé.

Gus Van Sant réussit à nous offrir un film témoignage en nous renvoyant 30 ans en arrière alors que finalement rien n'a vraiment changé. Aujourd'hui encore, dans un mélange de dégoût et de fausse pudeur, les homophobes déclarés ou honteux, dérangés par une représentation sexuelle qui les obsède, font de l'amalgame une arme de protection. On glisse facilement de l'homosexuel au pédophile, du couple de même sexe aux fossoyeurs de la famille, et donc de la société.

Personne d'autre que Gus Van Sant pouvait, avec une telle justesse et une telle maîtrise, s'emparer d'un tel sujet. Son portrait d'Harvey Milk, homme amoureux et engagé est simplement celui d'un homme digne. La mise en scène, discrète mais tangible, avec toujours cet inégalable sens du cadre (souvent surmultiplié par les entourages de portes ou de fenêtres), dont le grain s'harmonise avec les nombreuses images d'archives utilisées, construisant la narration dans un patchwork impressionniste délicat et souvent joyeux, capable de nous faire vivre une histoire d'amour en quelques scènes, de synthétiser la lutte d'une vie sans didactisme, prouve une fois de plus que Gus Van Sant est aujourd'hui le meilleur.

Dans le rôle d'Harvey Milk, Sean Penn est tout simplement prodigieux. En 2 secondes, on a oublié qui il était. Se glissant dans une composition jamais ostentatoire, mais toujours juste, il s'impose comme un grand. Son Oscar est donc amplement mérité. A ses côtés, James Franco irradie. Ne se contentant pas d'être simplement beau, il compose un personnage profond et touchant. Idem pour Emile Hirsch, alternant légèreté et profondeur, et Josh Brolin encore une fois parfait dans un rôle complexe.

Si Harvey Milk n'est pas aussi magistral et brillant que My own private Idaho, Elephant ou Paranoid park, il ne marque pas non plus le retour annoncé de son réalisateur dans le droit chemin cinématographique. En réussissant à faire d'un biopic un film personnel sans jamais se mettre en avant, maîtrisant son récit de bout en bout, peignant la lutte sans pathos mais avec détermination, réalisant le film d'une mort annoncée miné progressivement par une tension sourde, Gus Van Sant impose une fois de plus l'étendue de son talent.

Il reste juste à savoir si le cinéma fait avancer le monde. Si c'est le cas, Harvey Milk a son rôle à jouer.

La lutte continue.
pierreAfeu
9
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le 29 juil. 2013

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pierreAfeu

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