Dès les premières secondes, il y a une tendance « attention chef-d'œuvre » avec cette superbe scène de « dialogue » entre un bébé devant la télé et son père dans l'espace. Inédit, étrange, bougrement plaisant.
Et c'était la meilleure scène du film. On peut l'applaudir.
High Life est un film qui se contemple lui-même, surtout dans les vides entre deux répliques aphorismes. On n'y trouve que peu de science-fiction. Il ne suffit pas d'être lent et de respecter le silence intersidéral pour être métaphysique. Il ne suffit pas d'être dans l'espace pour nous faire croire qu'on parle d'autre chose que de cul.
Quand Pattinson s'est mis à répéter le mot « tabou » cinq fois à l'oreille du bébé, j'ai senti une forme de provocation je-m'enfoutiste pointer. J'avais apprécié Trouble Every Day de Claire Denis il y a longtemps. Un poil chiant mais intéressant, sur un thème que je n'avais pas vu traité avant, la sexualité dévoreuse, on dira. On retrouve ici une même patte. Ce qu'elle appelle tabou, si je comprends bien ce film, c'est le foutre le crachat, l'extase sexuelle, la violence sexuelle. Tabou je veux bien, il y a quarante ans. On a internet de nos jours, si je veux du foutre et du crachat, je le trouve en deux clics, tout le monde le sait. Alors pourquoi dans l'espace ? J'ai pas entièrement aimé Climax de Gaspard Noé, mais devant High Life je l'ai regretté. Quand Gaspard Noé dit qu'il aime pas les groupes humains, qu'ils sont voués à se détruire et qu'ils se réduisent à leurs fluides corporels, il parle de ça et c'est tout. Dans High Life, on est emmené dans la science-fiction, pour finalement nous parler de fluide corporels.
Et finalement, en voulant parler de tabou, Claire Denis nous montre que le sexe c'est sale, malsain, violent. Le désir n'est que tourment et souci, à moins de le refouler comme Pattinson... ? Ce serait pas un brin réactionnaire cette vision du sexe, finalement ? Je sais, ce sont des criminels qui ont tous des grosses casseroles. Ok, pourquoi ? Pour justifier leur morbidité ?
Il doit y avoir une poésie que je ne saisis pas autour de la chair et des fluides. Comme si filmer du sperme dans un verre ou dans une main était lourd de sens en soi. Oui, il s'agit beaucoup de foutre, dans ce film. Pour dire quoi ? Je ne sais pas, mais j'ai vu du foutre.
Il y a une femme noire dont on se fout royalement, qui meurt très vite juste pour servir à dire que les noirs meurent toujours en premier. Eh bien merci pour elle, ça lui aura été utile. L'actrice a dû être ravie de servir à mourir avant d'être un personnage.
Oui, il y a des images hybrides, profondes qui mélangent pulsion de vie et pulsion de mort. La froideur aseptisée des couloirs contraste avec le jardin potager et avec les flash-backs. Et deux ou trois plans bien réfléchis sur le voyage spatial et les trous noirs. On avance et on recule en même temps. L'immensité nous ramène à notre petitesse et tout ça, c'est assez cool. Cependant, suspendez bien vos réflexions car tout d'abord, rien ne justifie la mission de nos criminels envoyés dans l'espace à part deux phrases d'un vieux monsieur qui fera donc le scientifique justificateur. « Expérience radicale », dit-il. Donc si vous vous demandez comment on peut mettre tant de budget dans des expériences spatiales dont on ne saura jamais rien puisqu'ils ne reviendront pas, ou pourquoi une scientifique siphonnée peut faire se reproduire des gens tout en leur interdisant de baiser; si vous ne comprenez pas pourquoi on passe tant de temps à filmer une scène de porno (un mec se tripote en regardant une femme en blouse se sécher les cheveux), ne cherchez pas. Vous n'aurez rien d'autre que « expérience radicale ».
Je veux bien me mettre dans une position de voir ça comme de la poésie, c'est vrai que la cohérence n'est pas indispensable si on veut faire du Solaris. Je me suis efforcé à cette lecture et je n'y ai rien trouvé. C'est un film sur les pulsions sales, un film misanthrope, qui use de vieux artifices faciles pour faire de l' « intense », comme les hurlements d'un bébé à fond les oreilles. Ou une scène de masturbation interminable. Si on trouve que cette scène ne sert à rien, on est probablement dans le « tabou ». Le film s'est placé dans l'espace pour entourer d'un vide philosophique ses scènes de « vie » (sexe, masturbation, meurtre, naissance, faire marcher un enfant). Si philosophie il y a, elle est laissée entièrement au spectateur.
Il y a des images qui viennent de la terre. Pourquoi comment ? Juste pour dire à un moment « putain d'images ». Merci pour ce point de vue très étayé.
Je ne crache pas sur l'aspect sensitif très réussi, et une esthétique de l'espace, notamment par rapport à la mort, qui m'ont touché. Mais quand je ne comprends même pas ce que les personnages font là, j'ai du mal à suivre. Est-ce une histoire ? Un discours ? Un poème ? Une expérience ? Quant à la métaphysique du trou noir, qui nous tient en haleine, attention spoil : il n'y en a pas. La proposition du film, c'est que le spectateur se débrouillera tout seul à imaginer quelque chose.
Désolé d'être acerbe, je n'en veux à personne ayant travaillé sur ce film. C'est que j'ai rarement été autant attiré vers le bas après une première séquence si enthousiasmante.
Vers l'infamie et au-delà !
Pequignon
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le 8 nov. 2018

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Pequignon

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