Benjamin marche dans les sous-sols de l'hôpital où il débute comme interne. Comment se repérer dans un tel labyrinthe ? Des chariots chargés de déchets foncent dans les couloirs interminables. Un chariot manque de renverser Benjamin. L'hôpital est dangereux... Nous voilà prévenus ! A partir de cette plongée dans les entrailles de la bête, Thomas Lilti met en scène un huis clos hospitalier, où les relations entre Benjamin, ses collègues et les malades sont analysées au microscope.


La situation de Benjamin est révélatrice. Accueil minimal de sa chef de service : au boulot et démerde-toi ! Il peine à réussir une ponction lombaire, quand Abdel - médecin algérien faisant fonction d'interne - lui montre les gestes adéquats. L'hôpital fonctionne grâce à des étrangers sous-payés. Pourquoi former davantage de médecins en France ? Le système actuel revient moins cher... En 2018, "Première année" critique le numerus clausus qui organise délibérément la pénurie de médecins.


Les difficultés de Benjamin s'aggravent quand se présente un homme agité et alcoolique. Un électrocardiogramme (ECG) s'impose, au cas où. Mais une infirmière lui apprend que leur machine fonctionne très mal. Benjamin renonce à l'ECG... et malheureusement l'homme décède dans la nuit... Sa chef le couvre car tous préfèrent cacher la misère du service par des mensonges. Benjamin ment donc sur la cause du décès à l'épouse de la victime. Il ment également à Abdel... Pourtant ce dernier l'aide par l'exemple en se montrant humain avec les malades. Il lui enseigne comment évaluer la souffrance d'une vieille femme grabataire. La scène la plus forte du film est l'échange de regards entre Abdel et elle, quand elle exprime son désir d'en finir...


Benjamin débute dans l'hôpital de son père et l'inégalité de traitement devient flagrante entre ce fils à papa et un médecin étranger - bouc émissaire idéal en cas de problème grave. Une nuit suivante, la vieille patiente tombe dans le coma. Une équipe de l'hôpital, ignorant la mention : "A ne pas réanimer" de son dossier, la réanime. Un cas d'acharnement thérapeutique, pensent Benjamin et Abdel. Ils font venir la famille et sa fille - soutenue par son mari - accepte d'arrêter les souffrances de sa mère...


Le scandale éclate quand l'équipe de réanimation proteste... Un conseil de discipline se réunit et - pour blanchir Benjamin - charge Abdel. Il aurait dû appliquer le règlement, opter pour une décision collective afin de limiter les risques d'erreurs individuelles. Quand le directeur de l'hôpital s'exprime, trois logiques contradictoires se dégagent. La logique des médecins et des infirmières est de soigner les patients. Celle de la direction administrative est de gérer crédits et effectifs, lits et matériel médical en faisant des économies. La logique des politiques et des ministères est abstraite et bureaucratique, élimine aisément le facteur humain dans ses calculs économiques et financiers.


Comment survivre dans la misère psychique et matérielle d'une réalité inhospitalière ?
D'abord il faut se taire : à la cantine, un bizutage sexuel frappe immédiatement qui ose parler du boulot... On s'y défoule pour évacuer le stress... Ensuite il faut cacher la misère : comme le dysfonctionnement du matériel médical, ni réparé ni changé, faute de crédits suffisants.
Enfin il faut mentir : à propos d'erreurs dues à un manque de lits disponibles, à l'absence d'infirmières ou autres. Quant à Benjamin le blanc bec, il culpabilise pour les deux décès. Tiraillé entre des remords de conscience et un lâche soulagement, il se défausse de ses responsabilités sur Abdel. Ses mensonges et l'injustice commise le perturbent. Ses nerfs vont-ils lâcher ? Rappelez-vous, l'hôpital est dangereux...


Le docteur Thomas LILTI a de la suite dans les idées. Depuis 2014 avec "Hippocrate", il réalise une série de fictions documentaires qui auscultent notre système de santé. Et son diagnostic manque d'optimisme... L'hôpital va mal, les conditions de travail s'y dégradent car les deux logiques administratives (ministères, directions d'hôpitaux) étouffent la logique de soin. Première année" est un brûlot contre un concours qui transforme les étudiants en singes savants. Les deux films ont de nombreux points communs : les personnages principaux forment un binôme jeune/expérimenté, leur amitié se noue par le travail et une absence de romance... Il me reste à voir "Médecin de campagne" réalisé en 2016. Et d'après ce que je sais des déserts médicaux en France...

lionelbonhouvrier
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le 3 oct. 2018

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