En ce soir de clôture de la Semaine de la Critique, on me propose aussi de monter le tapis rouge pour le film de Xavier Dolan, présenté en compétition officielle. Après avoir eu la certitude que je pourrais rattraper Hippocrate le lendemain, je file au Palais. C’était sans savoir que Ryan G. était alors à l’Espace Miramar pour la Première d’Hippocrate, assis juste derrière mes co-jurés, qui n’ont pas hésité à prendre quelques photos. Mais pourquoi Ryan G. à la Semaine me direz-vous ? Parce qu’il est copain avec Reda K., qui joue dans Hippocrate. La prochaine fois, je réfléchirai à deux fois avant de vouloir piétiner un bout de moquette.

Thomas Lilti est cinéaste… et médecin. Quoi de plus naturel donc, que de réaliser un film sur la vie d’un service hospitalier, véritable monde en soi ? C’est chose faite avec Hippocrate, second long métrage du réalisateur, présenté en séance de clôture de la Semaine de la Critique. Les programmateurs ont envoyé un signal fort, revendiquant leur soutien à un cinéma français populaire de qualité tout en l’associant à des films d’auteurs plus confidentiels, preuve d’une cohabitation possible et surtout souhaitable.

Après Les Yeux bandés, premier essai demeuré très confidentiel, Thomas Lilti a mis plusieurs années, presque autant que des études de médecine, pour passer à nouveau à la réalisation. Entre-temps, il a poursuivi sa carrière de médecin généraliste et écrit les scénarios de Télé gaucho de Michel Leclerc ou encore du très plaisant Mariage à Mendoza d’Edouard Deluc. Il revient avec Hippocrate, un récit qu’il reconnaît comme autobiographique.

Benjamin Barois, un jeune interne ayant plus la tête à lever le coude avec ses condisciples qu’à se consacrer aux patients, effectue son premier stage dans le service dirigé par son père (Jacques Gamblin). Il y fait la connaissance d’Abdel, un interne algérien bien plus expérimenté que lui. Prenant progressivement conscience des responsabilités qui lui incombent, Benjamin repense sa fonction et sa vocation.

Disons-le tout de go, Hippocrate est une jolie réussite, qui obtiendra, on l’espère, le succès qu’il mérite. Il suffit de faire la liste des documentaires et des séries télé consacrées au milieu hospitalier pour s’apercevoir que le sujet fascine. Sa puissance d’attraction contamine même les personnages du film, de Guy, l’infirmier campé par le désopilant Philippe Rebbot, à la mère de Benjamin, en passant par les patients, tous obnubilés par Dr House. De même que Benjamin, fendant l’air d’un coup de poing ferme à son arrivée dans le service, imite le Dr Benton dans le générique d’Urgences. Pieds de nez apparemment anodins, ces références traduisent en fait l’omniprésence des fantasmes qui entourent les représentations de ce milieu. Grâce à ces clins d’œil, Thomas Lilti situe aussi son discours entre réalisme et romanesque, cette seconde dimension lui permettant, en outre, de dépasser la simple chronique d’un hôpital malade.

En représentant les débats qui agitent l’hôpital public aujourd’hui en France, du sous-équipement des établissements en passant par les conditions de travail des médecins étrangers, le réalisateur pose aussi la question du traitement des questions de société dans un film de fiction, et si la façon de les évoquer est parfois un peu maladroite, on pense au grand face-à-face entre le directeur de l’hôpital et l’ensemble du personnel du service, il reste que l’ambition est louable et finaude. C’est surtout en s’orientant vers le romanesque que Thomas Lilti tire son épingle du jeu, en s’attachant à dresser avec beaucoup de précision les portraits de Benjamin l’inconséquent et Abdel l’intransigeant. Il scrute leurs plus infimes mutations et fait de leurs trajectoires respectives le véritable sujet de son film, sans avoir besoin de s’aventurer hors de ce petit monde. Nulle trace d’épouse, de copine, de famille… D’imposant décorum, l’hôpital se fait la toile de fond tant que l’horizon quotidien de ces femmes et de ces hommes que l’on ne verra jamais quitter leur scène.
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le 22 juin 2014

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