" On reprendra la route, on s’arrêtera en pleine lumière ..."

Ursula Meier aime les espaces vides, isolés presque irréels. Et son premier film (elle en a déjà deux au compteur) n'y échappe pas. Chronique d'une famille perdue au bord d'une autoroute qui attend d'être construite depuis 10 ans, ils attendent, eux aussi, que le temps passe dans son rythme presque indestructible (répétitif, cyclique, irréel) jusqu'à ce que s'introduise l'élément déclencheur, la bombe à retardement qu'est la réouverture de l'autoroute.

D'abord presque féerique, le décor a de quoi faire rêver : une famille joue au hockey dans un parking désaffecté alors que tout autour des champs s'étalent à perte de vue, le décor devient cauchemardesque, dangereux (les nombreuses traversées de l'autoroute, où le pire menace toujours d'arriver). La famille respire, vit dans un rythme certes particulier mais aussi loin de tous (encore une fois, comme abandonnés par une société peu solidaire que décrit Ursula Meier). Tout paraît irréel comme ce père qui arrête sa voiture au milieu de nulle part, ou cette mère (étonnante Isabelle Huppert) qui passe ses journées chez elle, l'oreille pendue à la radio (jusqu'à qu'elle s'arrête de fonctionner). La meilleure image restera celle de cette grande fille rousse, sorte de fantôme irréel, qui s'allonge sur le bord de la route jours après jours avant de s'envoler, sans crier gare.

Une fois que revient l'autoroute, tout devient encore plus irréel mais à la fois tellement vraie, tellement beau. La famille ne capte plus que la radio de l'autoroute, elle suit donc minute par minute la fin de son idylle. Le film bascule peu à peu dans l'angoisse, disparition de la grande soeur, étouffement (réel, à l'image du blocos que se construit la famille). Le père vire quasiment dans "Shinning" avant, comme toujours chez Ursula Meir, de trouver de l'air (symbole de l'espoir) et d'enfin trouver une échappée ensemble.

"Home" est donc l'épopée atypique et merveilleuse d'une famille qui croise (la fenêtre devenant un tableau d'horreur) tous ceux qui s'enfuient, à toute allure sur l'autoroute vers un but alors qu'eux restent sur place, impuissant. Jamais personne ne s'arrête à leur maison (le huis clos se construit donc, à fortiori, dans une ligne de fuite où les voitures foncent), sauf quand l'autoroute est bloquée mais, là encore, la société semble les ignorer, il ne restera du passage des vacanciers bloqués que leurs déchets, pas de main tendue. Mais on ne fait que croiser les voitures, les compter; à l'image de la jeune sœur qui devient une boule d'angoisse face à la menace de pollution "on ne passera pas l'été". Les échappées sont rares mais enivrantes, les acteurs excellents.

Ursula Meier nous entraîne dans un conte fantomatique et angoissant où se joue les rouages d'un monde d'isolement et de rêverie, celle d'un havre de paix où vivre heureux avec sa famille. Un film atypique pour un cinéma, celui d'Ursula Meier, qui nous entraîne simplement vers la beauté, une merveille !
eloch

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