Quantième Art


Le film commence par nous rappeler les trois lois de la robotique - et il on découvrira qu'il est entièrement basé dessus. Il sera de bon ton, je pense, de vous mettre dans le bain par leur lecture.



  • Un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, en restant
    passif, permettre qu'un être humain soit exposé au danger ;

  • un robot doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par un être
    humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la première
    loi ;

  • un robot doit protéger son existence tant que cette protection
    n'entre pas en conflit avec la première ou la deuxième loi.


Ces trois règles ont été édi(c)tées par Isaac Asimov, et elles ont tellement imprégné le monde de la science-fiction moderne qu'on pourrait facilement croire qu'elles émanent de quelque grand scientifique. Et pour cause, elles sont loin d'être considérées avec dédain par les technophiles. Mais revenons-en à nos moutons (électriques).


L'introduction du film est une sorte de grand flou post-visionnage, parce qu'on se rend compte qu'il n'y a rien là-dedans de très utile. Cela pourrait simplement être une entrée en matière un peu lente avec au moins l'utilité de mettre le spectateur dans le contexte de l'année 2035, mais il y a un problème : il y a déjà tout dedans, comme un grand sac qu'on déballe en vrac en donnant à l'intrigue la tâche d'y remettre de l'ordre. Autant pour le contexte.


Le reste du premier tiers du film va évoluer par à-coups, rythmés au moins par le personnage de Will Smith qui reste cohérent et plaisant tout du long. Même en fin de critique, je ne me sentirai pas obligé de dire un mot sur ses concessions ; le personnage est propre, point. Et ce n'est pas par faiblesse car il est truffé de traits de caractère sans bâclage : cynique, technophobe, placide jusqu'à un certain point, lucide. Évidemment, on doit la plupart de ces atouts à Will Smith lui-même.


Quand le scénario considère qu'il nous a suffisamment fait poireauter, il va commencer de disséminer des indices, qui vont généralement s'avérer aussi évidents que l'affiche du film est un spoil (bah quoi, j'ai rien fait moi). Certains vont s'avérer des fausses pistes, d'autres des métaphores (au choix), mais au global la carte « mystère » jouée par l'intrigue n'est guère payante.


On ne sera pas surpris du débarquement des scènes d'action à moins de s'être trompé de salle. Au niveau qualitatif, on est à peu près raccord avec l'an de grâce 2004. On parle donc ici d'une bonne qualité, avec son content de carburant (l'argent), ce qui lui permet de faire bonne figure encore aujourd'hui. Une des particularités qui garantissent de l'abus ou de la rature (donc il y a des petites touches) est son étonnante clarté graphique malgré tout le bazar agité qu'on peut avoir à l'écran.


Puisqu'on parle d'effets spéciaux, un mot sur les androïdes : si le principal d'entre eux est modelé sur un solide motion capture, tous les autres étaient de toute évidence animés de cerveau positronique en cap, en témoignent les acteurs (souvent les figurants mais pas forcément) qui ne savent pas où regarder.


Ensuite, il ne faut pas perdre de vue que l'œuvre est d'inspiration asimovienne et qu'en ça, elle prend à cœur de traiter les sujets de l'intelligence et de l'âme. Et un gros bon point qu'elle marque en la matière est la lucidité tapissant – là aussi – le personnage de Will Smith, et de là, toute l'histoire.


Une scène géniale en particulier nous met dans un embarras monstrueux ; il nous est acquis que Will Smith personnifie le bien et qu'on ferait mieux de s'allier à son judicieux sens critique. Puis vient ce moment où les tout nouveaux androïdes – les NS5 – sont livrés en masse et que l'un d'eux embrasse spontanément une petite fille, à la grande joie de toute une foule. Difficile de ne pas trouver beau un robot qui assimile nos us émotionnels, pourtant la moue de Smith à ce micro-évènement désapprouve ce grand moment. Le moyen parfait de forcer le spectateur à faire un choix, et un plongeon dans cette année 2035 où le dilemme porte justement sur l'humanisation des robots, le franchissement de la vallée dérangeante. Un dilemme qui, finalement, n'est pas loin d'être de taille en 2018... Et l'empathie ainsi créée est un véritable tour de force que nous joue le film mine de rien.


À propos des androïdes, autre bon point : la génération précédant l'hégémonie commerciale des NS5, les NS4, ne sont pas des tas de boulons obsolètes, usés et déplorables, indignes de la bénédiction de leurs petits frères. Ils demeurent là, victimes honorables, alliés véritables, nous rappelant que toute technologie n'est pas mauvaise à prendre et que même certains de nos rêves technocratiques ne sont pas malsains. C'est bien vu, et cela renforce encore l'empathie qu'on peut éprouver, le temps du visionnage, à l'égard de ces robots.


Hélas, après ces cahots et ces quelques incursions dans un génie comparable à celui de l'excellent L'homme bicentenaire (basé sur Asimov aussi, de Chris Columbus, 1999, avec Robin Williams), I, Robot se résume au grand spectacle d'une révolte robotique sans queue ni tête à laquelle prennent part des humains soudain incapables et naïfs. Tout aurait été dans le seul but donner le beau rôle à Will Smith, et de bercer le spectateur de stéréotypes fanés sur le physique et le fonctionnement des androïdes avec intelligence artificielle ? Les cauchemars du personnage de Will Smith ne seraient-ils qu'un prérequis commercial plutôt qu'une métaphore avec les rêves des robots ? C'est en tout cas en ce sens qu'ils nous marquent.


Heureusement, le seul propos n'est pas la gloire de l'affiche ; comme on l'a dit, le film est parsemé d'intelligence qui éclot de diverses et agréables manières. Ça fait juste un peu trop de faiblesses malgré le bon fond de la chose.


Conclusion


I, Robot n'est pas le film de science-fiction de la décennie, mais il a le mérite de concorder avec l'ambiance générale des adaptations asimoviennes. On ne restera donc pas sur sa faim, d'autant qu'aucune erreur vraiment grave n'est commise. Will Smith et son personnage font cent fois le travail qu'on leur demandait, et cela donne un ciment solide, quoiqu'un peu trop mono-protagonistique, à un univers qui n'est pas en mal de talent du côté de son réalisateur. L'histoire sera un peu victime de stéréotypes androïdiens qui n'étaient pas censés franchir l'année 2000 tels quels, mais la lucidité qui parcourt le système nerveux du film est tout à son honneur aussi. On lui pardonnera les quelques gros écarts commerciaux et la faiblesse de ses développements psychologiques, car il demeure un bon film réunissant le divertissement et une technophobie intelligente et d'actualité. Un film qui est donc visible pour réfléchir comme pour se distraire.

EowynCwper
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le 9 avr. 2018

Critique lue 423 fois

Eowyn Cwper

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