Critique de Il Mio Corpo par Alexandre Rémond
La beauté des corps nous en dit peut être pas assez sur ses héros mais la caméra est au bon endroit. Elle fait le trait d'unions entre tous les laborieux.
le 21 mai 2021
La Sicile. Nom mythique, altier, prestigieux, depuis ses temples antiques jusqu’à Pirandello, en passant par ses paysages de carte postale ou sa mafia tant exploitée au cinéma. Pour son deuxième long-métrage, après « Pescatori di corpi » (2016), le réalisateur italien Michele Pennetta choisit pourtant d’en présenter la face sombre, obscure, même si le soleil attendu se trouve bien au rendez-vous. Mais il s’agit d’un soleil écrasant, implacable, à l’image de ce père, Marco, invectivant son fils, Oscar, pendant que celui-ci travaille pour lui à la recherche de métaux dans l’une des nombreuses mines de soufre à présent laissées à l’abandon et servant de décharge à l’air libre. Parallèlement au suivi de ce cadet d’une famille de ferrailleurs, le documentaire accompagne également le quotidien de Stanley, jeune Nigérian à qui son titre provisoire de séjour permet différents travaux, allant de l’aide qu’il apporte au curé sous la protection duquel il se trouve jusqu’au travail des vignes ou la surveillance de troupeaux. Deux destins de l’ombre, marqués par la précarité, l’inconfort, un vague et constant sentiment de menace... Le père, Marco, est passé en jugement à cause de sa violence naturelle et des témoignages contre lui de son ex-femme, la mère qui a abandonné ses deux fils aînés ; Stanley s’inquiète pour l’ami qui partage son existence et qui peine à obtenir la même légitimation de son statut sur le sol italien.
Toutefois, si la frugalité de ces existences est montrée dans sa crudité, jamais le réalisateur n’actionne la corde misérabiliste. Bien au contraire. Une forme d’humour, un sourire, est présent dès la scène d’ouverture, dans la décharge, lorsque Oscar trouve une statue de Vierge qui va connaître, hissée par le père, tête en bas, une Assomption d’un genre inédit... Les joies, même humbles, acquièrent une importance sans doute décuplée : un bon repas, une fête, une baignade, des jeux à vélo... Surtout, la beauté est présente, peut-être même omniprésente, bien que non esthétisée, d’autant plus miraculeuse dans ces existences cernées par le dénuement : beauté des visages, en tout premier lieu, visages plus souvent graves et réfléchis, taraudés de nostalgie, que souriants ou riants ; beauté des corps, musculeux et sculptés par les efforts et les privations, davantage dans le geste que dans la parole. Que dire, en effet, au creux de ces destins de l’ombre ? Quel commentaire apporter ? Mieux vaut agir, pour fuir la dépression, échapper à l’amertume.
La photographie de Paolo Ferrari est magnifique de sobriété et porte sur ce monde un regard qui pourrait rappeler celui de l’immense Wang Bing. Les sons se trouvent très subtilement recueillis par Edgar Iacolenna ; souvent mécaniques, furtifs, ils sont fréquemment les seuls témoins de l’activité humaine. Ils éclipsent donc toute musique superfétatoire, sauf à l’extrême fin, lorsque, après un croisement provoqué des trajectoires, entre quête inquiète et rêve, au cœur des ténèbres, éclate, bouleversant, le « Stabat mater » de Pergolèse chanté par un chœur d’enfants ; superbe hommage à l’innocence sacrifiée de ceux qui, comme l’annonce le titre, « Il mio corpo », n’ont que leur corps pour toute richesse.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Films où il est question de la paternité, frontalement ou latéralement. et Films dans lesquels l'eau joue le rôle d'un protagoniste
Créée
le 4 sept. 2020
Critique lue 1K fois
11 j'aime
D'autres avis sur Il Mio Corpo
La beauté des corps nous en dit peut être pas assez sur ses héros mais la caméra est au bon endroit. Elle fait le trait d'unions entre tous les laborieux.
le 21 mai 2021
Du même critique
Le rêve inaugural dit tout, présentant le dormeur, Pierre (Swan Arlaud), s'éveillant dans le même espace, mi-étable, mi-chambre, que ses vaches, puis peinant à se frayer un passage entre leurs flancs...
le 17 août 2017
76 j'aime
33
Sarah Suco est folle ! C’est du moins ce que l’on pourrait croire lorsque l’on voit la jeune femme débouler dans la salle, à la fin de la projection de son premier long-métrage, les lumières encore...
le 14 nov. 2019
73 j'aime
21
Marx a du moins gagné sur un point : toutes les foules, qu’elles se considèrent ou non comme marxistes, s’entendent à regarder le travail comme une « aliénation ». Les nazis ont achevé de favoriser...
le 26 août 2019
70 j'aime
3