Ils sont partout
4.3
Ils sont partout

Film de Yvan Attal (2016)

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Le plus grand défaut de ce film (en plus de quelques sketchs qui tombent à l’eau et d’une direction d’acteurs catastrophique) est son manque de discernement quant à la nature de l’antisémitisme qui sévit aujourd’hui en France. En effet, l’antisémitisme est présenté sous le masque des personnages suivants :



  • Une Marine Le Pen fadasse dont il fait une grossière caricature néo-nazie, alors que la vraie personne joue un jeu beaucoup plus subtil et arrive même à récupérer une partie de l’électorat juif de droite

  • Une Charlotte Gainsbourg affligeante de par son jeu désincarné, mais surtout de par son personnage inintéressant de femme qui aurait épousé un juif simplement pour son argent, et qui le méprise voyant qu’il n’a pas fait fortune comme tous les juifs (ô stéréotype de la femme vénale !)

  • Un François Damiens qui déteste profondément tous les juifs simplement parce qu’ils célèbrent leurs souffrances dans son quartier depuis des années.


C’est peu dire que ces personnages manquent de nuance ; ils ajoutent un jalon à une fausse vision de l’antisémitisme ne pouvant que desservir le propos d’Attal. Car oui, nous vivons dans un pays où l’antisémitisme est bien réel. Mais ce n’est pas l’antisémitisme haineux de nos aïeux, prêts à envoyer tous les porteurs de queues coupées en séjour touristique aux bains d’Auschwitz sans y regarder à deux fois. Nous vivons aujourd’hui l’antisémitisme du sourire en coin. « Ah, t’es juif, c’est vrai ? ». Inexplicable sourire narquois. Combien de fois on me l’a fait ce sourire, ou la petite blague qui passe bien, face à l’annonce de mon judaïsme. J’ai même entendu celui avec qui je partageais ma vie (pas antisémite n’est-ce pas, puisqu’il accepte de sortir avec une juive), décréter que nos enfants seraient baptisés, car « il était hors de question que ses enfants soient juifs ». Qu’on ne vienne donc pas réagir à ce film en disant que l’antisémitisme n’existe plus et que les juifs devraient arrêter de pleurnicher sur leurs paranoïas. L’antisémitisme existe plus que jamais en France (pas chez tous les Français bien sûr, le but n’est pas de généraliser), mais il a pris une forme différente. On ne méprise plus le juif, on pense juste que c’est la « tehon » d’en être (et veuillez excuser la paranoïa, mais la répartition des notes Senscritique est tout à fait probante, là où aucun autre film ne présente un tel nombre de 1 par rapport aux autres notes ; on sent comme une envie de descendre ce film, qui me semble tout de même plus intéressant que La stratégie de la poussette ou Un village presque parfait.


Cela explique que j’aie été consternée par la nullité des deux premiers sketchs : ils sont désincarnés et sonnent faux, fervents dénonciateurs d’une France simpliste, grossière et irréelle. Néanmoins, le film a le bon goût de prendre un véritable tournant salvateur, à partir du sketch sur Jésus, résolument le plus abouti, en ce qu’il est le mieux écrit, mis en scène et joué du film. Le sketch de Jésus à cela de génial qu’il n’essaie pas d’observer la réalité morose de l’antisémitisme et de la dénoncer par des petits tricks plus ou moins fonctionnels. Pendant cette histoire-là, un miracle advient : le mythos, la fable, prend le relais du logos, le discours logique, qui avait handicapé le film jusqu’à présent et qui trouve ses limites dans la question ultime que pose Attal à son psy et que tout juif a posé au moins une fois dans sa vie : « Mais pourquoi, en fait ? ». Tous auront cherché les raisons de l’antisémitisme, en vain. Quelles que soient ou qu’aient pu être les fautes du peuple juif, il est dans tous les cas irrationnel que l’individu juif doive en subir les conséquences. Face à cette abdication de la raison, seule l’imagination du récit peut prendre le relais. Et c’est là que le miracle advient. Le sketch de Jésus, tenu par les ficelles bien agencées du rire, de la violence et du rêve, effectue une catharsis autodestructrice qui repose sur le comique juif. Là où l’on ne peut plus répondre aux questions, on se laisse emporter en souriant dans une réalité autre, fantaisiste, où tout est encore possible, mais où rien ne l’est en fait, puisque le meurtre de Norbert (ou de mon chien), génèrera l’antisémitisme au même titre que la crucifixion de Jésus. Et dans la scène hilarante d’une messe consacrée au Dieu Norbert, nous rions du constat – peut-être faux, mais profondément drôle et auto-déridant – selon lequel les juifs porteront toujours sur leur dos tout le poids de la culpabilité du monde. Alors, le film joue un rôle, et c’est le rôle que devrait endosser tout film, à mon sens. Il parle d’un sentiment existant, mais l’élève au rang de fable, lui apportant une valeur universelle et mythique. Il ne parle plus seulement de l’antisémitisme en France. Il parle, avec humour, de la culpabilité qu’ont ressentie à exister (à tort ou à raison) les juifs de tous temps.


A ce titre, j’ai aussi vraiment aimé les prémices de l’histoire de cette France qui devient juive. Hollande n’y est plus Hollande ; il devient personnage, et par cette transformation presque chimique, devient le président des possibles. Et le possible est, depuis La Poétique d’Aristote, ce qui transforme l’anecdote en récit, la réalité en vérité. Alors la France se met, dans un élan jouissif, à danser une magnfiqiue Hora multi-ethnique Place de la République. Alors, pendant un moment, ce sketch ne parle plus de l’antisémitisme en France. Il parle d’unité, de fraternité, de joie, d’opportunisme aussi certainement. Il fait même plus que ça, il nous emporte au-delà du sens, dans la pure jouissance de la scène. Dommage que ce sketch se termine sur une note négative, décrédibilisant ainsi le message d’espoir par lequel Attal dit vouloir terminer le film.


Ils sont partout est donc, j’en conviens, un film très inégal, et bourré de défauts. Néanmoins, il a au moins le mérite d’essayer quelque chose qui s’émancipe du plat paysage naturaliste auquel se cantonne la comédie française. Et rien que pour ça, son accueil est injuste.

phantesie
7
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le 2 juin 2016

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phantesie

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