Par Jean-Philippe Tessé

Les empires s'effondrent toujours parce qu'il arrive un moment où le pouvoir, à force de se disperser, de se diffuser en de multiples directions, se dissout et disparaît : invisible, insituable, dépourvu de centre et d'échelle. Il en irait de même d'INLAND EMPIRE si l'empereur Lynch n'avait fixé à son chemin, peut-être avec préméditation, peut-être in extremis, une issue. Il faut bien suivre le film jusqu'à son terme, qui est une scène-générique éblouissante où ça chante, où ça danse dans une lumière retrouvée, un enthousiasme qu'on n'osait pas imaginer au cinéma. Il faut près de trois heures de voyage pour réaliser où va ce film tordu seulement en apparence : vers une joie bouleversante.

Il y a des précautions d'usage à prendre avant d'entrer plus avant dans le film qui, s'il risque de dérouter (surtout après le glamour de Mulholland drive), s'expose davantage à un malentendu qui poursuit Lynch et qu'entretiennent aussi bien ses admirateurs que ses détracteurs. INLAND EMPIRE peut rebuter parce qu'il semble incompréhensible et par conséquent suspect de n'avoir aucun sens. Or, s'il est inutile d'espérer tout comprendre, parce que c'est impossible même si plusieurs visions du film aident à y voir plus clair, il serait encore plus dommageable d'en rester à cette impression. Ne voir dans le film que le délire d'un démiurge tout puissant, c'est envoyer directement Lynch au musée. Soyons à l'heure : on sait depuis longtemps que le cinéma le plus en avance sur son temps n'est pas celui qui se débarrasse de la question du récit, mais au contraire celui qui sans cesse la remet sur le métier. Exactement ce que fait Lynch, y compris avec INLAND EMPIRE, qui continue son cinéma par d'autres moyens, et ne s'intéresse à rien d'autre qu'à la possibilité de raconter une histoire.

Il y a dans INLAND EMPIRE, comme dans tous les autres films de Lynch, une histoire. Une histoire qui se termine bien, d'ailleurs, avec ce happy end en chanson. Ce qui rend difficile sa compréhension, c'est que les embrayeurs narratifs sont moins des événements que les états affectifs qui s'accouplent à eux. Souvenons-nous de Mulholland drive, et de la scène du snack, où un homme est foudroyé par la peur d'un visage qu'il a vu en rêve. L'homme est mort de peur, et le monstre du snack est accroché à cette peur. Il y avait exactement la même idée dans la série Twin peaks : un personnage meurt sans autre cause que la peur, et alors apparaît Bob, la figure du mal, sans raison logique, sinon qu'il a flairé la terreur. C'est la loi du monde lynchien, cette capacité des affects à conduire le récit, à susciter des événements, plus que l'inverse. De même que Twin Peaks et l'inceste, que Lost highway et l'impuissance, que Mulholland drive et l'échec (amoureux et artistique), c'est une peur qui fait s'ébranler l'empire du nouveau Lynch. (...)

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Chro
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le 28 août 2014

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