Il y a des films qu'il faut recevoir dans un état d'esprit particulier pour pouvoir en apprécier pleinement la substance. Évidemment il n'y a rien d'innocent à ce qu'une telle phrase ouvre la critique de la dernière création du réalisateur de Mulholland Drive, Twin Peaks et Lost Highway. David Lynch est en effet dans le paysage cinématographique mondial un membre à part capable à la fois du plus grand formalisme (et je ne fais pas forcément référence que à Une histoire Vraie) mais également de faire passer son public dans une boite bleue pour le perdre complètement ou presque.

INLAND EMPIRE (à écrire en majuscules David il a dit) a été globalement mal reçu. Évidemment une partie du public a su se laisser hypnotiser, n'empêche. Autant Mulholland Drive ou Lost Highway avaient su instantanément séduire une partie du public, autant INLAND EMPIRE a globalement dérouté tout le monde, même ses supporters.

Bon et puis là, paf !j'me ramène et voilà t'y pas que j'ai l'impression d'avoir tout compris du premier coup. Enfin tout, façon de parler, ça reste du Lynch hein ? C'est pas Oui-Oui joue au Scrabble ou Martine à la plage... Mais je dois avouer que la manière que j'ai eu de regarder le film, avec une attention intermittente m'a du coup connecté à un certain niveau avec l'esprit dégénéré du cinéaste fou. Et du coup, plus le film avançait plus j'avais mon cerveau qui me hurlait à l'oreille en chuchotant « mais c'est pas possible ? Ca serait si simple que cela ? »
Et oui, la conclusion du film m'a réconcilié avec mon cerveau : INLAND EMPIRE est le deuxième volet d'un diptyque entamé avec Mulholland Drive (bon y a aussi des liens avec Lost Highway, c'est évident mais je reste persuadé de l'aspect dual), et les deux films racontent peu ou prou la même histoire dans un même mouvement qui s'oppose pourtant en chaque instant. En simple : INLAND EMPIRE est le frère jumeau maléfique (ou bénéfique ?) de Mulholland Drive.




En quoi IE et MD sont-ils en situation de gémellité ? Tout d'abord passons vite sur les évidences : la présence des actrices de MD dans IE, si elles sont réduites à des caméo, n'est pas un hasard. Pas plus que la présence de Justin Theroux, réalisateur dans MD (rappelez vous de ses lunettes à monture épaisse et de sa canne !) et ici acteur.
Theroux fait d'ailleurs le lien également entre 2 scènes choc des deux films : les séquences de répétition, présentent dans les 2 films sont toutes les deux brillamment interprétées (aussi bien par Laura Dern que par Naomi Watts) et toutes les deux dans une tonalité identique (hyper méga surjouées et à la fois parfaitement interprétées donc). On pourra aussi noter la volonté de faire peur au spectateur avec des micros séquences effrayantes ou le mot final qui vient être asséné face caméra (Silenzio s'opposant à Sweet)

Et puis il y a ces 2 couples de femmes avec une blonde et une brune...mais là où dans Mullholand Drive la blonde fantasme la brune, dans IE la brune fantasme la blonde. Et cette inversion est le centre de la fausse gémellité des deux films (rapellé à la fin du film lorsque Laura Dern est accueillie par Laura Elena Harring...les prénoms sont ils un hasard ?).
Aussi bien au niveau de la forme avec d'un côté un film léché au possible et de l'autre un film en DV, que du fond avec d'un côté un nombre conséquent de réalités qui se chevauchent tandis que de l'autre on a uniquement 2 niveaux qui sont clairement délimités, les 2 films s'opposent donc comme les 2 faces d'une même pièce.
Du coup pour peu qu'on ai compris MD, Lynch nous donne le mode d'emploi pour comprendre IE : il suffit de décalquer sa compréhension du précédent film et paf ! on comprend (ou presque).


[ Micro Digression : Ma compréhension de M. Dr.
Naomi Watts a vécu une vie de merde avec sa chérie qui la trompait et son insuccès dans le milieu du spectacle. Du coup elle rêve une vie ou tout se passerait différemment et ou elle aurait une vie de star et une chérie vierge de toute relation lesbienne. Seulement la réalité se rappelle à elle et dans son délire dépressif elle termine en se tirant une balle. Et pang : elle rêve sa vie à ce moment là, la boucle est bouclée.
Et en gros c'est donc la même chose pour INLAND EMPIRE même si sa nature de faux frère fait qu'on peut se demander si IE n'est pas plus positif au fond que MD...]


Mais et le film dans tout ça ? David Lynch réalise un film à la fois magnifique et parfaitement impénétrable. J'avoue avoir eu une chance assez particulière d'avoir réussi à comprendre le film aussi vite (enfin "compris".....) et c'est donc quand même assez frustrant de voir un film aussi austère à saisir car basé sur un flou artistique limite répréhensible (faut pas forcément faire exprès de perdre son spectateur David hein ?). Alors oui le geste artistique est parfait (les liens subliminaux du film, cf le tournevis, sont extraordinaires) mais un brin de structure ça fait pas de mal.


En plus de tout ça INLAND EMPIRE est aussi un film somme, un espèce de manifeste lynchien qui tisse des liens non seulement entre IE et le précédent film du réalisateur fou, mais également avec l'ensemble de l'œuvre de David.
On trouve déjà cette fascination de la comédie musicale (qu'on trouve dans quasiment tous les films de Lynch) qui se trouve placée en fin de film comme une conclusion à l'œuvre de Lynch jusqu'ici.
On a ce casting qui prend sa source dans Sailor et Lula, dans MD, dans Twin Peaks mais aussi dans Une histoire vraie ou Lost Highway.
On a cette manière de filmer à la fois novatrice et qui prend ses racines dans les précédents films du monsieur.
Etc.

Au bout du compte on se retrouve donc avec un film qui est une charnière de la carrière d'un des réalisateurs les plus intéressants au monde. Cela donne d'un côté un film passionnant dans lequel on peut se plonger des heures durant, comme dans un puzzle gigantesque et irrésoluble mais d'un autre côté c'est ce côté même de patchwork dément qui représente la plus grande faiblesse du film, le rendant quand même par moment abscon et impénétrable.
Ce qui est au bout du compte le plus passionnant avec INLAND EMPIRE c'est en fait ce qu'il représente à mon sens pour Lynch : un achèvement. Et connaissant le bonhomme la suite n'en sera que plus intrigante.
Adinaieros
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le 13 janv. 2011

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Adinaieros

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