"This is a story that happened yesterday. But I know it's tomorrow."


It's about a woman in trouble, and it's a mystery, and that's all I
want to say about it.



Nul ne peut parler mieux de ce film que son créateur.


Inland Empire est le dernier long-métrage en date de David Lynch, puisqu'il semble ici avoir réussi à dire tout ce que sa carrière plurielle a tenté de dire, et être allé au bout de ses désirs cinématographiques radicaux.
C'est un film total en ce qu'il semble être la continuité de ses œuvres passées (on pourrait y voir par exemple une suite, ou plutôt une variation de Mulholland Drive, mais ce serait trop pauvrement réduire l'ensemble), qui a autant de portes d'entrées que de sorties, un geste artistique extrême et limite, à mi-chemin entre cinéma et expérience d'art moderne.
Un film total puisqu'inqualifiable tant il faudrait une liste interminable d'adjectifs pour se faire, un film total puisqu'impossible à résumer, Lynch semblant s'être définitivement débarrassé de tout autour de quoi le cinéma s'est construit (c'est-à-dire vidé de toute convention de scénario et de chronologie), un film total puis qu'inséparable de toute son entité ; Inland Empire est un film bloc autant qu'un éparpillement irrécupérable dont on ne pourrait diviser ou sélectionner une séquence, un angle de lecture, une idée sans corrompre tout l'ensemble.


Expérimentant la DV, son grain d'image, ses couleurs comme d'emblées perdues, ses angles indescriptibles, David Lynch quitte officiellement le monde du cinéma et de ses caméras tout en le disséquant mieux que personne.
Film abyssal et vertigineux, Inland Empire est un patchwork sans repère, un brouillon confus entre cinéma et réalité (déjouant sans cesse les attentes et surprenant continuellement), une expérience brute de cinéma, tout aussi éprouvante dans sa vision parfaite d'un cauchemar (visions traumatisantes, télescopage de temporalités et localisations, dédoublement effrayant de soi, ...) que bouleversante dans son récit éclaté de la violence exercée sur les femmes depuis toujours et de l'hypocrisie du monde destructeur qu'est l'industrie Hollywoodienne (si Mulholland Drive n'était pas assez clair pour certains, ce film-ci enterrera définitivement les rêves et fantasmes des stars en devenir). Le cinéma qui pourrait, dans une première partie, servir de repère, de bouée à laquelle on s'accroche pour déterminer le vrai du faux, servant autant aux spectateurs qu'aux personnages, n'est désormais plus qu'une illusion cachant de manière fallacieuse la sombre et dure réalité sur laquelle il se fonde, dynamitant le concept même de vérité, faisant entrer par effraction le fantastique dans le réel, mêlant irréversiblement les deux. Un véritable trip sensoriel aux visions et sons hallucinés et hypnotiques.
Dans son approche fauchée, où Lynch tient tous les rôles, faisant parfois tanguer dangereusement le film vers le ridicule d'un égotrip personnel, Lynch délivre pourtant une œuvre gigogne profondément universelle, et dans ses derniers instants, véritablement bouleversante dans sa vision d'une misère humaine (ici celle des femmes) présente à tout instant et en tout lieu. Par une maitrise unique du montage, le puzzle abscons et indéchiffrable livre pourtant son message grâce à une lisibilité surréaliste de prime abord inconcevable.


C'est peut-être bien lorsqu'on est définitivement perdu qu'on est le plus disponible pour accueillir la puissance et la beauté de cette expérience filmique cauchemardesque, épuisante, déroutante, dont on sort hagard, ébranlé, ému, lassé et dans laquelle on continuera de chuter pendant longtemps, et sur laquelle on pourra, avec modération, revenir perpétuellement.


En donnant officiellement son coup de grâce au Cinéma et à tout ce que ce medium pourrait être capable de dire, David Lynch atteint la fin de son geste radical, son objectif comme sa finitude, épuisant ses thèmes comme ses approches, ne pouvant désormais plus rien dire et montrer qui ne serait pas une redite.



Disappeared where it's hard to disappear.


Charles Dubois

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