D.W. Griffith n'est pas un cinéaste qu'on peut prendre à la légère, pour des raisons idéologiques, pour l'histoire du cinéma ou pour le lien entre cinéma et société. Griffith est un élément très important dans l'histoire du cinéma et des Etats-Unis. Malgré ses errements moraux, religieux et sociaux, son incapacité à prendre le train du progrès de l'économie du cinéma, il a su créer une grammaire technique et narrative tout au long de ses centaines de films, courts et longs.
Forcément "Birth of a nation" est sans doute sa plus grande oeuvre, parce qu'elle pose de très nombreuses questions sur le cinéma comme art et comme médium, parce qu'il s'agit d'un des premiers grands longs métrages et parce qu'il a marqué la carrière de cinéaste. "Intolérance" vise à faire taire les critiques ascerbes et sociales sur sa vision tronquée, bornée, simpliste, moralisatrice et mensongère de son film précédent. "Hey les mecs, moi je sais ce que c'est que la tolérance, hein ! Arrêtez de me faire la morale, bande d'intolérants ! - Heu, David, t'as quand même fait dire à ton film que les noirs étaient heureux d'être bien traités comme esclaves et que le KKK avait sauvé les Etats-Unis des révoltes des noirs...".
"Intolérance" c'est une espèce de fourre tout moralisateur s'appuyant sur quatre histoires traitées très différemment dans leur durée, dans leur traitement et dans ce qu'il veut leur faire dire. Il s'agit surtout de deux histoires : à Babylone au cinquième siècle avant J.C. avec des décors incroyables, des milliers de gens à l'écran, une impression de regarder une messe païenne dans des décors millénaires le tout au coeur d'une histoire un peu difficile à suivre ; et dans l'Amérique contemporaine où les bourgeois mettent en marche la roue du destin qui va faire entrer le malheur dans la vie d'une femme et de son aimé.
Griffith a également voulu traiter la nuit de la Saint Barthélémy et la mort de Jésus de Nazareth en les expédiant vite fait, parce que bon, tu vois les décors, putain, ils ont couté quand même super cher ! Et ça sent un peu ça "Intolérance". Comme si en nommant son film de la sorte, Griffith s'était protégé derrière un mur enfantin du genre "c'est celui qui dit qui est" qui lui prête la possibilité de raconter ce qu'il veut sans pouvoir être critiqué pour la morale primaire de son film. Sauf qu'au bout de cent ans, on peut se permettre d'écrire qu'il raconte quand même un peu n'importe quoi.
Alors oui, c'est absolument inimaginable tant qu'on ne l'a pas vu, le décor étant d'une ampleur jamais atteinte. Mais la narration est trop enfantine et simpliste pour n'être autre chose que la grosse morale amércaine d'un riche WASP du début du siècle. Perdu entre son génie pour raconter des sentiments, pour présenter l'intimisme de la vie des gens du commun et son discours emprunt d'une réalité sociale tronquée, on assiste aux débuts d'un cinéma qui avait encore beaucoup de choses à apprendre.
En tout cas il s'agit d'un monument que tous les cinéphiles se doivent de regarder au moins une fois, déjà parce qu'il est en accès libre légalement et gratuitement sur internet, et parce qu'il permet de voir de quoi est parti cet art.