Annoncé depuis des mois, Irréversible : Inversion Intégrale sort enfin en salles quelques semaines avant le tout nouveau Lux Æterna. Originalement prévu comme un bonus Blu-Ray, de nombreux cinéphiles ont déploré l’idée de ce re-montage qu’ils voient comme un coup porté à l’essence de la première version. Ce serait oublier qu’Irréversible ne puisait pas toute sa force dans son montage inversé, mais également dans les performances d’acteur de son trio principal.


Dix-huit années plus tard, Monica Bellucci, Vincent Cassel et Albert Dupontel ont gardé toute leur énergie. Le couple-vedette nous offre une scène d’intimité très touchante d’une nudité apaisante et non érotique, témoin d’une complicité réelle bientôt détruite, où la caméra s’efface complètement grâce au steadicam pour laisser vivre les personnages. Le même procédé est utilisé lors d’une scène d’amitié entre les trois protagonistes en plein métro parisien, dans laquelle Pierre harcèle Marcus pour comprendre comment mener Alex jusqu’à l’orgasme. Alors que ces deux scènes faisaient découvrir au spectateur un bonheur idéalisé désormais perdu, elles lui permettent désormais de découvrir calmement les personnages afin de s’y attacher. Pendant tout le film, Monica Bellucci et Albert Dupontel frôlent la perfection, tandis que Vincent Cassel est un peu-dessous à cause d’un surjeu flagrant lors de ses scènes de rage, la faute à des dialogues sans doute trop improvisés.


Evidemment, impossible de parler d’Irréversible sans évoquer sa célèbre scène de viol. Les idées de cinéma survivant au temps, cette scène n’a rien perdu de sa puissance, ce plan fixe face à la souffrance d’Alex étant toujours aussi glaçant. Sur le plan idéologique, infliger une épreuve physique et psychologique au spectateur pour raconter un viol est toujours aussi pertinent, tout en gardant une distance décente avec le personnage. On peut également apprécier l’aspect naturaliste de ce nouveau montage, qui fait intervenir le viol dans l’histoire comme il le ferait dans la vraie vie, à savoir un coup de tonnerre imprévisible qui change une vie à jamais. Néanmoins et comme l’on pouvait s’y attendre, le reste du temps, le nouvel ordre des scènes est problématique. La réalisation confuse lors du passage au Rectum semble désormais bien gratuite, puisqu’elle embrouille inutilement le spectateur alors qu’il comprend désormais tous les enjeux de la scène. Les transitions d’un plan-séquence à l’autre sont très mal amenées, puisque la caméra délaisse les personnages pour les retrouver sensiblement au même endroit. Pire encore, le film se termine par un caméo du regretté Philippe Nahon, dont l’aspect morbide était une belle introduction à l’ambiance poisseuse du film mais nullement une conclusion.


Comme il l’affirme lui-même, Gaspar Noé n’a presque pas retouché son film si ce n’est la restauration et le nouvel ordre des scènes, et c’est bien dommage. Irréversible était en grande partie marquant pour le sentiment mitigé qu’il provoquait au spectateur, les scènes d’amour étant bien plus fortes quand elles étaient montées après les scènes d’extrême violence. l’Inversion intégrale fait perdre cette sensation au spectateur au profit d’une noirceur presque immature, comme si le réalisateur se complaisait dans un cynisme creux. Cette version est donc plus sombre, plus triste et plus choquante, mais également plus simpliste et moins marquante. Ce re-montage d’Irréversible a donc un véritable intérêt pour les cinéphiles curieux ou les apprentis monteurs, mais il est dommage d’avoir l’impression de voir une version de travail plus qu’un véritable nouveau film. A ne surtout pas découvrir une première fois en l’état.


Site d'origine : Ciné-vrai

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le 29 sept. 2020

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