Le montage soviétique

A l'époque où j'avais vu Le Cuirassé Potemkine de Sergueï Eisenstein, je m'étais rendu compte à quel point j'étais insensible aux messages que transmettait son film. D'autant plus que son montage, qu'on m'avait toujours vendu comme révolutionnaire, me paraissant long, insistant, bref, chiant.

Puis, j'ai étudié Eisenstein, j'ai lu ses textes, réfléchi à ses théories, à sa façon de concevoir son montage et sa mise en scène et une chose m'est parvenu : Eisenstein est un génie. Ses textes et théories sont si riches, complexes, passionnants, qu'il est devenu mon sujet préféré à étudier pendant mes cours, j'en étais juste fou sans avoir vu plus de films de lui.

Alors je me suis tourné vers sa filmographie et un film me paraissait plus intéressant que les autres, surtout que je le connaissais de nom depuis déjà bien longtemps, et ce film, c'était Ivan Le Terrible.

Le truc, c'est qu'en regardant Ivan Le Terrible, je me suis souvenu de la raison pour laquelle je n'avais pas aimé Le Cuirassé Potemkine, c'est son montage. Et je me retrouve face à une situation paradoxale. Parce que j'adore étudier sa mise en scène et tout ce qui en découle, mais je m'ennuie ferme à chaque fois que j'assiste à une de ses réalisations dans son intégralité. Le véritable soucis que j'ai avec le montage d'Eisenstein, c'est sa longueur et à quel point, il insiste beaucoup trop sur certains points.

Je m'explique grâce aux merveilleux cours auxquels j'ai pu assister. Le montage d'Eisenstein consiste en la combinaison et la concordance de ce qu'il appel, des fragments. Le fragment est un détail au sein d'un plan, qui seul, n'a pas grand intérêt. Mais, par une combinaison astucieuse de plusieurs fragments, le montage offre un discours, une idée. Ce montage complexe est appelé par Eisenstein « le montage intellectuel ».

Bref, c'est ça qu'il faut voir dans la mise en scène d'Eisenstein, repérer les fragments, comprendre la concordance entre ceux-ci et recevoir ainsi le message offert par le film. Pour Eisenstein, ce montage permettait donc d'élever le peuple à une forme supérieure d'intelligence car il offrait une part d'un discours, et le spectateur devait à son tour développer sa propre pensée.

Et le truc, c'est qu'Eisenstein insiste énormément sur ses fragments. Il est capable de fixer un point pendant vingt secondes sans qu'il se passe quoi que ce soit à l'écran ; car sa mise en scène doit avant tout être au service d'un discours et non d'une histoire. Le truc, c'est qu'habitué à la mise en scène occidentale qui est avant tout au service d'une histoire, n'insistant pas particulièrement sur des détails, j'ai trouvé le montage d'Eisenstein barbant. Je ne dis pas qu'il est mauvais, mais qu'il s'agit là d'un montage radicalement différent et qu'en ce qui me concerne, j'ai encore du mal à m'y retrouver.

Bon par contre, les plans sont remarquablement bien construits. Le travail sur la profondeur de champ, le cadrage, les ombres, Ivan Le Terrible est tout bonnement spectaculaire tant la mise en scène est soignée, diversifiée et juste foutrement agréable à regarder (ce qui sauve en quelque sorte la longueur des plans).

Quant à l'acteur principal, je le trouve lui aussi incroyablement bon, il fait preuve d'un charisme rare et toute l'intrigue sur les jeux de pouvoir et les gens qui veulent faire tomber le Tsar est franchement bonne.

Mais voilà, je reste encore assez indifférent aux messages et au rythme du film, ce qui n'aide pas vraiment à mon appréciation de l’œuvre. Je suis tout à fait conscient qu'Ivan Le Terrible est une prouesse cinématographique sensationnelle, et quiconque serait assez sensible à ce type de cinéma considérera ce film comme un véritable chef d’œuvre. Tant par son discours, la façon dont il est amené et sa mise en scène. En ce qui me concerne, j'essaye justement de me plonger dans ce type de cinéma et d'en comprendre les ficelles, j'y cherche encore un intérêt, mais qui sait, la seconde partie d'Ivan Le Terrible répondra peut-être à mes attentes.