J'ai rencontré le diable par Doctor Lou

I Saw The Devil est sans doute le thriller coréen ultime et l'aboutissement de la carrière du réalisateur Kim Jee-Woon. Sorti en 2011 chez nous, ce film d'une noirceur sans égale mixe le polar et le gore avec perfection et sans complaisance. Y a pas à dire, les coréens sont très très forts pour aligner des polars/thrillers sans concession qui frappent le spectateur à jamais. Memories of a Murder est sans doute le 1er à avoir marqué le genre, suivi par la trilogie de Park Chan-Wook ou encore le fameux Chaser de Na Hong-Jin. Le sentiment d'être face à un chef d’œuvre ne fait pas de doute à la fin du visionnage de chacun de ses films et I Saw The Devil ne déroge pas à la règle. Mieux encore, il arrive à se démarquer des autres par ses influences variées venant autant du cinéma coréen qu'américain. Un film somme en quelque sorte qui devrait ravir le public mondial.

On est donc au départ face à un film de serial killer, genre typiquement américain, de facture assez classique bien que traité de façon très crue (assez proche de Seven d'ailleurs). S'en suit une enquête banale menée à la fois par la police (que l'on suivra peu car, qui dit film coréen, dit police foireuse) et par le héros dont le tueur a assassiné la femme. Or là, contre toute attente, au bout d'une demi-heure de film, celui-ci trouve le tueur.
Clap, l'histoire est bouclée, rentrez chez vous messieurs dames, y a plus rien à voir ! Je ne vous cache pas qu'arrivé à ce point là, le spectateur quelque peu abasourdi se demande bien ce que le film va pouvoir proposer pendant les 2 heures suivantes. En réalité, c'est bien sûr là que tout commence ; notre veuf éploré va se venger – jusque là pas de surprise – en créant une frustration inédite chez le méchant pendant plusieurs jours.
On aurait pu craindre un virement à la torture-porn mais plutôt que de construire un énième huit-clos sanglant, Kim Jee-Woon, nous propose une lente course-poursuite, à l'image d'un chasseur prenant son temps pour attraper sa proie blessée, la fatigant toujours un peu plus. Si le plus endurant sera le vainqueur de ce "jeu", il est évident dès le début que dans tous les cas il n'y aura que des perdants. Le diable du titre se révèle donc à la fois le serial killer que le docteur Jekyll au fond de nous – the dark side of the force young Luke - et donc à fortiori du héros.
Classique ?
Certes, mais le traitement lui est extrêmement original ; chaque fois que le tueur voudra assouvir ses morbides pulsions, le vengeur viendra stopper l'acte et mutiler par la même occasion le pervers en prenant toujours soin, et ce n'est pas facile, que celui-ci s'en sorte afin de continuer sa traque. Malsain, assurément. Dans sa soif de vengeance, volontairement et consciemment décuplée, le héros passe de l'autre côté, comme si l'instinct du tueur à l'instar d'un sérieux virus, l'envahissait petit à petit. De même, alors que le tueur commence à comprendre ce qui lui arrive, le spectateur aura droit à une plongée assez traumatisante dans l'antre d'un autre psychopathe avec qui il partage un repas que l'on devine peu kascher...
I Saw The Devil attaque méchamment son public. Alors qu'il semble nous brosser dans le sens du poil, nous offrant notre lot de scènes sanglantes, de culpabilité, de morale déviante, le métrage n'est jamais jubilatoire ; la traque n'est qu'une descente aux enfers déguisée qui touchera de nombreux innocents au passage et l'image finale qui restera ancrée dans nos mémoires est à des lieues du sentiment que provoque habituellement ces films de vengeance (les miss Scorpion, One-eye ou Snowblood par exemple). Quand on sait, qui plus est, que l'idéal casting nous balance une opposition démente (Lee Byung-Hun contre Choi Min-Sik), on ne peut qu'adhérer, mettre à nouveau le dvd dans le lecteur et s'enfoncer dans la noirceur de l'âme humaine.

Sombre, très sombre...