De Jackie à Jacqueline, le destin brisé d'une icône...

JACKIE (15,8) (Pablo Larrain, USA/CHIL, 2017, 100min) :


Ce singulier Biopic suit le destin tragique de la première dame des États-Unis, Jackie Kennedy, et nous conte son traumatisme intime, suite à l’assassinat de son mari John Fitzgerald Kennedy à Dallas le 22 novembre 1963 lors d’une visite présidentielle. Le réalisateur chilien Pablo Larrain après le magnifique et poétique Neruda revient quelques semaines plus tard avec un nouveau Biopic présenté aux festivals de Venise 2016 (remportant le Prix du scénario) et Toronto 2016 (récompensé par le Grand Prix) sur l’icône Jackie Kennedy. Ce deuxième film biographique confirme la manière atypique de Pablo Larrain de traiter la vie d’un personnage réel sans jamais en faire une hagiographie, en transcendant la manière de raconter ces vies hors normes par un angle de vue différent des Biopic traditionnels. Le premier parti pris du réalisateur : Concentrer essentiellement son récit sur les trois jours succédant au drame en y mêlant quelques apartés précédant le jour funeste. Le second parti pris : Utiliser le prétexte d’une interview donnée à un journaliste comme colonne vertébrale structurelle du récit, pari toujours un peu casse gueule mais ici parfaitement maîtrisé. D’emblée donc, nous découvrons un taxi qui traverse les allées d’un parc magnifique pour rejoindre une somptueuse demeure située à Hyannis Port (Massachusetts). Un homme intimidé sort du véhicule s’approche du perron et va à la rencontre de la jeune veuve chancelante afin d’être le premier à recueillir pour une interview dans le célèbre magazine « Life » les ressentis de l’ex first lady et connaître éventuellement ses aspirations futures. Un entretien illustré tout d’abord en champ contre champ soulignant le côté distant et froid de l’exercice. Ce prétexte scénaristique permet également une structure narrative complètement éclatée, des bribes sorties de la mémoire de Jackie, métaphore implicite de l’état du cerveau de son mari après l’impact de balle qu’elle a tenu dans ses mains de façon désespéré. Ces flash-back se succèdent pour construire un portrait de femme particulier en immersion dans les arcanes du pouvoir. Le cinéaste applique de façon brillante toute la grammaire cinématographique et adapte sa mise en scène en fonction des souvenirs évoqués tout en convoquant une réflexion sur la vérité de l’image. A ce titre la séquence où l’on découvre dans une minutieuse reconstitution en noir et blanc, une vraie visite virtuelle de la Maison-Blanche le 14 février 1962 organisée par la chaîne de télévision CBS pour une émission spéciale suite aux travaux de rénovations des appartements par la nouvelle locataire des lieux c’est l’actrice qui rejoue exactement la vraie séquence télévisuelle d’une Jackie impeccable, soigneusement habillée et résolument moderne et montre la complicité du couple présidentiel. Le réalisateur utilise à l’identique le même format et grain de l’image retranscrivant le vrai par le faux en restituant ainsi la part de mensonge. Comme un faussaire le cinéaste va retranscrire cinématographiquement l’atmosphère de chaque bribe de mémoire dévoilée au journaliste tout en gardant le contrôle de tous ces propos reniant même instantanément certaines confidences avec un aplomb certain. Le réalisateur chronique le quotidien de ces trois jours où la vie de la première dame se brise et l’image iconique va s’amplifier. Alternant entre les images d’une Jackie Kennedy hébétée maculée de sang sur son beau tailleur Chanel rose et une femme en contrôle de tout pour l’organisation des funérailles grandiloquentes de son mari, prenant la référence à la cérémonie funéraire de Lincoln sous forme de procession et sujette à des revirements brutaux quand elle perd pied sous une caméra précaire. Comme pour les flash-back la brillante mise en scène à contretemps remonte jusqu’à la fusillade horrible où John Fitzgerald Kennedy trouvera la mort des suites de ses blessures et où Jackie Kennedy perd à peu près tout. Pablo Larrain suit avec tendresse cette femme au bord du gouffre dans les couloirs fantômes de cette « maison du peuple » qui lui échappe déjà au milieu de la valse des cartons, tantôt ivre en essayant multiples vêtements, tentant de rester élégante lors de la marche funéraire devant le monde entier qui la regarde en pleurs. La caméra vient s’approcher au plus près de son visage reflet de tous ces tourments où alors par de magnifiques travellings, elle accompagne les protocoles et les cérémonies. Le film utilise également des images d’archives venant s’intégrer parfaitement aux reconstitutions méticuleuses dans les moindres détails de décors ou de textiles. Une œuvre immersive dont la partition musicale variée de Mica Levi prend possession presque du corps et de l’âme de Jackie en donnant un vertige sensoriel angoissant et presque fantastique au long-métrage même si elle encombre parfois un peu trop l’ambiance du récit à des moments où le silence aurait été plus évocateur. Mais le long métrage s’avère particulièrement pertinent par l’incarnation saisissante de Nathalie Portman magistrale Jackie Kennedy plus vraie que nature tant et si bien que l’image que nous avons d’elle soit la vérité. Cette vérité cette first lady redevenue Jacqueline Bouvier Kennedy ne la laisse qu’à Dieu, gardant avec soin ce côté mystérieux pour nous autres, simples mortels sous le charme de cette envoûtante grande dame du siècle. Venez découvrir une partie des coulisses et les fêlures d’une femme sur le toit du monde se nommant tout simplement Jackie. Intime, intelligent et bouleversant.

seb2046
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le 19 janv. 2017

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