"The most popular gun in American crime. Like they're actually proud of that shit."

En nous laissant porter par une certaine conception de l’évolution d’une œuvre, Jackie Brown est à la fois un film tout à fait logique par rapport à ses ainés, mais également parfaitement géré dans son style. S’il paraît compliqué de remettre en cause les bases d’un style tout en gardant une personnalité marquée, le réalisateur nous prouve bien que le tour de force reste possible.


Tout part d’une idée, simple sur le papier. Après avoir délivré deux des divertissements les plus ultimes du cinéma indépendant américain, pourquoi ne pas tenter pour Quentin d’insuffler une touche, non seulement poétique, mais politique à son cinéma ? La première étant facilement repérable, sans en être moins efficace pour autant, la seconde paraît plus intéressante.


Si, en effet, le film est presqu’un hommage entier à la blaxploitation, le discours qui s’y cache n’est que la continuité de cet hommage. On parlera donc ici de racisme au sein du pays d’origine du réalisateur. Ou plutôt, plus que de racisme, de la façon de chaque individu d’y réagir pour survivre dans un pays ravagé par le fléau. Chaque personnage semble devenir une icône de ce qu’il représente.


Le personnage de Samuel L Jackson, toujours aussi magistral dans son rôle sur mesure, répond à la violence par la violence. Il n’éprouve aucune honte à arnaquer un pays qui le lui rend bien. Il vend des armes aux personnes biberonnées à la pop-culture et élevées par la télévision comme Mélanie. Ils aiment leur télé au point de vouloir y ressembler, et tant pis si l’arme de John Woo s’enraye une fois sur trois. Ordell consacre ses nuits aux rêves de débauches comme Louis, mais contrairement à ce dernier, il passe ses journées aux affaires pour nourrir une ambition de ne pas se laisser marcher dessus par une population qui ne s’arrêtera décidemment jamais de vouloir le rabaisser.


Chez Tarantino, cette ambition semble réservée à ceux qui peuvent tomber dans le fond le plus abyssal. Et Jackie est déjà tombée bien bas. Mais contrairement à Ordell, son ambition n’est pas nourrie d’un désir de revanche raciale, mais bien de récupérer le rêve américain qu’on lui a promis. Promis par des hommes d’Etat : la prison ou le rêve, l’entre deux n’est plus une option. Elle ne regarde même plus la couleur de ses interlocuteurs. Elle joue sur tous les tableaux, pour au final ne servir qu’elle même.


Et au milieu de tout ce monde, de l’argent. Un sacré paquet même, qui va installer un beau bordel.


Au niveau formel, Tarantino évolue vers une sorte de maturité. Fini la toute puissance quasi-divine du scénariste. Plus de croisement par hasard au coin de la rue, plus de meurtre malchanceux en voiture. Les personnages prennent des décisions, sont maitres de leur destin, font avancer l’intrigue eux même. À ce titre, le jeu sur les points de vue démontre bien la maitrise du réalisateur. Si l’on perd en folie jubilatoire, à l’instar du gore, on gagne en réalisme tout à fait raccord avec le propos du film.


Quentin se réinvente parfaitement. Il garde ses gimmicks pour les amener vers autre chose, et même si les spectateurs de l’époque ont dû être perturbé, avec le recul on ne peut qu’admirer le culot et la maitrise avec lesquels ce film a été réalisé.


Critique faisant parti d'une rétrospective sur le réalisateur :
http://www.senscritique.com/liste/Retrospective_Quentin_Tarantino/1207072

Mayeul-TheLink
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le 13 janv. 2016

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