Vendu et montré comme une comédie française à la limite de la franchouillardise et de la démagogie, "Jacky au royaume des filles" est un petit ovni à son échelle.

On rit peu. On sourit parfois. Doux-amer, le film tient plus d'un conte de fée un peu féroce, mêlant le drame et le loufoque de manière assez déconcertante (mention spéciale au décès d'un des personnages principaux qui selon moi résume très bien cet étrange parti-pris) : on y trouve des scènes surréalistes - le bal des bachelors, nuée blanches étouffant une Charlotte Gainsbourg figée dans ses bottes de colonelE mais également des situations ou le propos devient plus acerbe - une ébauche de scène de viol qui parvient à être à la fois ridicule (volontairement) et à instiller un malaise en quelques secondes, curieux mélange qui fait mouche. Si Vincent Lacoste est parfois un peu léger - il semble mettre du temps à rentrer dans le personnage - le reste du casting est parfait (j'ai une petite tendresse pour anémone en Kim-jong-ilette cinglante, trop peu exploitée à mon goût).

En terme de narration, on est dans le pur conte de fée revisité : le souillon (oui puisqu'il s'agit bien d'un) rêvant d'aller au bal rencontrer le/la prince et brimé, puis spolié par son horrible belle-famille (Didier Bourdon, grandiose de veulerie) mais est fort heureusement aidé par sa bonne fée - un révolutionnaire "hommiste" - et parvient par le plus grand des hasards droit dans les bras du prince/la colonelle. Tout ceci pourrait se finir sur un happy end avec beaucoup d'enfants si nous n'étions pas dans un OVNI. Je ne dirais rien de la fin mais elle m'a grandement fait sourire, bien qu'elle soit assez incongrue...à l'avenant de tout le reste. Voilà pour la forme et une partie du fond.

Car sous la couche loufoque, il y a le propos politique véhiculé par le film...et je ne suis pas certain qu'il faille nécessairement en voir un : certes, il pastiche toutes les plus grandes dictatures - pas seulement religieuse mais également militaires et économiques, la république démocratique de Bubune rassemble à la fois les dictatures slaves, nord-coréenne et moyenne orientale, en faisant ressortir toute la grotesque démesure. Mais finalement l'inversion des rôles est assez peu exploitée pour délivrer un message ou tout du moins le laisse-t-elle à la totale appréciation du spectateur. La conclusion me pousse à croire que le message de "Jacky au royaume des filles" est bien plus simple, presque un peu facile. Mais son contenu reste néanmoins un essai intéressant. Dans tous les cas, le film est un excellent pied de nez aux imbéciles crachant sur la théorie du genre, d'autant plus rafraîchissant dans le contexte d'hystérie actuelle.

Un petit mot également sur les mots : "Jacky au Royaume des filles" s'amusent de néologismes lourds de sens, asseyant cette république démocratique matriarcale par un sexisme langagier savoureux, où les termes désobligeants et péjoratifs deviennent masculins et les termes valorisants féminins. Une excellente trouvaille qui donne tout son sel à cette gynocratie.

Sorte de cendrillon à l'arrière-goût acide - la misère ou plutôt toutes les misères subies par le genre humain y sont représentées - on a prêté beaucoup d'étiquettes à "Jacky au royaume des filles", mais la vérité c'est qu'il est relativement inclassable. Le mieux reste de le voir.
SubaruKondo
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le 5 juin 2014

Modifiée

le 5 juin 2014

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SubaruKondo

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