J'ai aimé, je sais toujours pas pourquoi.


Jeanne d’Arc, bergère devenue chef de guerre, jugée sorcière puis Sainte, figure du féminisme, du socialisme sous la plume de Jaurès, du nationalisme aussi sans oublier d’être récupérée par Voltaire, Anouilh, Schiller, Besson, Mark Twain…même les frères Lumières et Méliès se sont fendu d’iconiser un peu plus la pucelle qui aura décidément brulé la chandelle par les deux bouts jusqu’à ses 19 ans. La figure tutélaire du patrimoine passe aujourd’hui à la moulinette Dumont qui préfère s’intéresser à la paysanne tourmentée plutôt qu’à la vierge guerrière, Jeannette avant son tournant d’arc knight. Confirmant au passage qu’il est décidément l’un des réalisateurs français les plus intriguant depuis le virage p’tit quinquin, pour faire surgir toute la poésie de la vie d’une adolescente partie tuer pour Dieu.


(critique aussi sur http://cinematogrill.fr/jeannette-lenfance-de-jeanne-darc/ au fait)


Poésie et non pas politique est le message revendiqué du réalisateur de la vie de Jesus ayant opté pour un burlesque qui ne dépaysera pas les fans de Ma Loute (comprendre : continuera à faire fuir les réfractaires) même si le projet se détache largement de ses autres réalisations. Le texte, ou plutôt le livret, est de Péguy, auteur du tout début XX ème ayant commencé comme socialiste pour finir religieux conservateur. Une prose pas facile à appréhender et encore moins à digérer, au style daté et à la musicalité faite de rimes et de répétitions, que Dumont a trouvée compatible à la musique d’Igorrr, touche à tout et surtout à l’expérimental partant pour illustrer Jeannette. A vous de juger si le parallèle est évident.


L’on passe de la bluette au death métal pour revenir au rock en faisant un crochet par le rap, rien n’est en trop pour illustrer les tourments de notre héroïne et s’il faut breakdancer pour trouver Dieu, alors breakdansons ! D’autant plus que Decouflé est à la chorégraphie.


Un dispositif se dessine, Jeanne parle pour dire des banalités, chante a cappella quand la discussion s’élève puis danse quand les mots ne suffisent plus, possédée par le Dieu du groove. Dumont choisit le mode de la récitation pour le jeu de ses acteurs non professionnels et de la prise de son sur le vif afin de volontairement résulter à des bafouillements et à une diction de plus en plus hachée du texte, pour qu’il s’oublie, pour que ne reste que le rythme. Sans oublier les moutons qui bêlent en arrière plans, non scriptés mais essentiels. Cela ne va pas sans quelques parallèles parfois pas fins : une comptine quand on parle de paix et d’espoir, du métal quand ça s’énerve et qu’on veut bouter des trucs, et parfois plus osé comme lier le headbang à l’autoflagelation. Dommage cependant que Découflé avec des non professionnels, ça limite les acrobaties, et qu’aucun thème mémorable ne se dégage de la musique qui a sacrifié l’idée d’avoir des thèmes pour lier l’ensemble pour préférer multiplier les styles et les instruments.


La comédie musicale permet ainsi d’exprimer un véritable état de transe. Pour faire un audacieux crochet par La La Land, dernier représentant connu du genre, on remarque que la musique sert avant tout à traduire les rêves des personnages pour disparaître quand on retombe dans la réalité du quotidien. Elle n’apparaît pas au hasard pour que les personnages racontent leur situation, au contraire les paroles sont à la limite du compréhensible et le son seul traduit le conflit intérieur de la sainte en formation.


Mais là où le film de Chazelle a une conception millimétrée que certains voient même comme artificielle, Dumont garde avant tout une façon de filmer naturaliste dans ses décors épurés, en laissant une grande place au fait que tout n’est pas parfait, que ses acteurs ne sont pas des professionnels de la danse et du chant, que sa caméra n’est pas attachée à une grue contrôlée par ordinateur et que globalement il a filmé ça dans les dunes pas loin de chez lui sur la côte d’Opale et a incrusté un village lorrain en arrière-plan. Bien plus proche de l’esprit d’un spectacle d’Avignon off que d’un show de Broadway, Jeannette n’en reste pas moins une œuvre furieusement originale de par son sujet et son traitement qui se donne les moyens, par une réflexion formelle poussée et un humour absurde poussif, d’être un bon Dumont.

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le 30 août 2017

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