Comme le cavalier de l’apocalypse de « Pale Rider », Clint Eastwood est toujours là où on l’attend le moins. Avec son dernier opus « Jersey Boys », le voici qui s’investit dans un registre encore inédit chez lui, la biographie des Four Seasons, film qui loin d’être un chef d’oœuvre fait figure d’agréable et surprenant renouvellement. S’en étonner serait oublier que Eastwood a toujours été passionné de musique et que sa carrière entière a été placée sous le signe de l’éclectisme et du contre-pied. Lui-même n’a-t-il pas été compositeur à ses heures, ayant signé la partition de sept de ses films ? Sa musique est d’ailleurs à l’image de son jeu d’acteur : discrète, classique, économe en notes comme l’acteur avare en mots, suscitant l’émotion par la suggestion et non la démonstration.

Ce même refus de l’effet facile, on le retrouve dans son œuvre cinématographique. Parvenu à la notoriété comme comédien dans un emploi unique, celui du cow-boy mutique des trois films de Sergio Leone, Eastwood a vite prouvé que, comme cinéaste, il n’en serait pas de même et que l’on aurait tort de l’enfermer dans un seul registre. Si bien qu’il a su produire non seulement quelques westerns comme « L’homme des hautes plaines » mais aussi des mélos, quelques polars, un thriller « Un frisson dans la nuit », mais surtout des films inclassables qui composent un univers très personnel. Au-delà de cette incontestable diversité, c’est néanmoins l’unité qui frappe le spectateur, toujours surprenante de la part d’un réalisateur qui n’écrit pas lui-même ses scénarios. Le cinéma d’Eastwood est celui d’un homme ou d’une femme qui tente de tracer sa route en toute liberté, de se frayer un chemin d’indépendance en évitant les pièges d’un passé douloureux, les ornières du conformisme et le poids de sa propre médiocrité.

Avec cet opus « Jersey Boys », il nous livre à 84 ans sa première comédie musicale inspirée d’un succès de Broadway. Adaptant celle dédiée à Frankie Valli et ses potes du New jersey, le cinéaste en conserve néanmoins la même structure narrative ( un récit divisé en 4 saisons, du printemps de la formation du groupe à l’hiver de sa séparation ) et le même casting de non-stars flamboyantes que Eastwood a tenu à transférer tel quel des planches de Broadway au grand écran. Ainsi vivons-nous dans l’intimité et les aléas du métier de ce groupe composé de John Lloyd Young, Erich Bergen, Vincent Piazza, Michael Lomenda et Chistopher Walken durant les 2h14 un peu trop longues de cette épopée musicale. Oui, un peu longues car il faut avouer qu’il n’y a, de la part de Eastwood, trop peu d’implication personnelle, l’auteur se satisfaisant de rendre avec précision et une rigueur naïve le quotidien de personnalités assez fades qui ont trop tendance – n’étant pas acteurs - à surjouer leurs rôles et à caricaturer ainsi leurs personnages. Dommage, car il y a de beaux moments, des éclairs de fraîcheur ou de simple authenticité, une bande originale de qualité. Mais il manque quelque chose, ce qui est rare de la part d’Eastwood : la grâce.
abarguillet
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le 23 juin 2014

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