Note réelle : 4,5/10. Warning : cette critique est une critique sympa. Le genre avec qui l'on prendrait volontiers un frappuccino au Starbucks d'à côté, et plus si affinité. La critique qu'on choisirait comme parrain de ses enfants, sous un coup d'inspiration. Celle qui ouvrira toujours la porte aux demoiselles par galanterie chevaleresque, et qui choisira toujours la maison Gryffindor aux infâmes Serpentards. Celle qui pleure à la fin de l'épisode 309 de Game of Thrones. et embrasse sa part de féminité dans le vestiaire des filles. Tout ça. Ainsi, dans les prochaines lignes, cette critique fera sans doute preuve d'une magnanimité surprenante. C'est normal.
Le capital sympathie dont bénéficie Ashton Kutcher auprès de votre serviteur, son dévouement admirable à un rôle casse-gueule, rappelant qu'il sait jouer à ceux qui avaient complaisamment oublié L'Effet Papillon ; une galerie de bonnes gueules, en premier lieu desquelles se trouve l'excellent Delmot Mulroney dans le rôle de l'embarrassé Mike Markkula ; une bonne bande-son seventies (Stevens, Dylan...) ; un peu de trivia inconnue du grand public, et bonne à prendre pour briller en société... voilà tout ce qui sépare le désespérément "moyen" Jobs du naufrage sous la barre des cinq étoiles.
Et pourtant, que l'on soit un übergeek afficionados du culte Jobs ou un cinéphile technosceptique nostalgique d'Eustache, il est difficile d'ignorer les trois défauts rédhibitoires de Jobs : son écriture poltronne et paresseuse (inconsistence dans le caractère de Jobs, ellipses trop pratiques), sa réalisation d'une platitude télévisuelle (période 90s), et son incapacité impardonnable à exprimer ne serait-ce qu'UNE ONCE du génie avant-gardiste du personnage-titre, qui se contente ici de tenir une poignée de motivation-speeches, de rappeler combien different is better, et de s'attraper les cheveux dans son manoir bien vide pour bien montrer combien il est torturé. Voilà ce qui le place dans le no man's land du medium-mimolette : si le film s'attache à suivre bien proprement le cahier des charges du biopic standard, et ne commet aucune faute de goût fondamentale, rien dans Jobs ne vous remuera non plus les tripes ni les neurones. Moyen.
Moyenne, la connexion de l'audience à l'action pourtant historique. Jobs donne l'impression d'assister à une projection des diapos associées à la biographie officielle. Un coup, Jobs semble peindre le portrait d'une tête de noeud internationale (sujet pas plus mauvais qu'un autre), ce que l'homme semblait être et plus si affinité, mais que le film semble vouloir édulcorer au final, cf. le cool Ashton ; le coup d'après, il s'épanche assez lourdement sur la magnifique solitude du génie, sans convaincre davantage. Infoutu de plonger dans le bain sans son scaphandre, le film donne rapidement la désagréable impression de flotter pour toujours à la surface, et de n'aller nulle part, encadré par deux loupés originels, son prologue, et son dernier quart. Son prologue, qui se situe à l'inauguration de l'Ipod en 2001, met en scène un Jobs 2.0 (col roulé noir et cheveux grisonnants) célébré tel l'oracle de l'univers, son auditoire captivé comme les premiers fidèles du Christ, riant à la moindre de ses blagues pas forcément drôles, le tout monté sur d'insupportables violons d'une emphase typiquement américaine qui donnent l'impression de suivre le discours d'Harry Truman annonçant la fin de la Seconde guerre mondiale. Le dernier quart, quant à lui, qui montre son retour aux affaires en 1996, se révèle aussi faible que succinct, recevant en pleine face les problèmes d'écriture en gestation dans la première partie du film, à commencer par son traitement inexistant des personnages secondaires : ses parents, son épouse, sa fille Lisa (trois secondes de temps d'antenne), rien de tout ça n'existe du début à la fin ; ses vieux potes évanouis sous l'obsession du succès, ils ne sont là qu'en jolie idée ; le monde n'existe pas en dehors de son cliché, alors qu'un tel film est censé effectuer le travail inverse.
Pour sortir un minimum gagnant de l'aventure, le spectateur se rabattra sur le seul type de scène réellement réussies : les confrontations de Steve Jobs avec le conseil d'administration, incarnant l'antagonisme très moderne entre l'esprit d'initiative de l'entrepreneur et la frilosité congénitale des actionnaires, et permettant aux éléments chevronnés du casting de briller, de Mulroney (donc) à J.K. Simmons, en passant par Matthew Modine, dont on est content d'avoir des nouvelles. La tension est là, tout comme un minimum d'ambiguité qui permet à ces scènes de fonctionner dramatiquement, en évitant de faire de Jobs le gentil opprimé et des encravatés les suppôts de Satan. Hélas, ce ne sont là que quelques scènes dans un long-métrage de 128 minutes.
Cruelle absence de vision originale, incapacité à apprendre quoi que ce soit de Steve Jobs autre que quelques dates-clés, emballage qui aurait mieux convenu dans le cadre d'une mini-série produite par History Channel, manque flagrant de rythme et montage approximatif (pas mal de scènes se terminent sans que l'on sache vraiment pourquoi)... dans la forme comme dans le fond, le film de Joshua Michael Stern creuse un douloureux vide dans le coeur de son audience la plus avide - Steve Jobs, quoi ! N'importe quoi. Elle n'aura pas eu grand chose à se mettre sous la canine, du début à la fin. Tout au plus un plaisir un peu mou de divertissement sympa à qui l'on donne la moyenne par charité chrétienne, grâce aux quelques qualités citées plus haut, et à une dose d'humour salutaire (toujours bien, l'humour).
Privilégier une facture plus linéaire et classique à l'approche déstructurée et égocentrique d'un Social Network de Fincher, cela ne pose aucun problème en soi. Mais réussir en faisant du classique est un exercice autrement plus ardu que de bien négocier l'originalité...