L'Homme qui murmurait à l'oreille des Raptors

En bon enfant né au début des années 90, Jurassic park est bien entendu l'un de mes premiers vrais souvenirs de cinéma et un film pour lequel j'éprouve encore une énorme sympathie. Pour l'anecdote (j'aime toujours la raconter celle-là), j'avais vu le film à l'âge de 6 ans et il m'inspirait fortement pour mes travaux réalisés en classe de CP. Je dessinais des T-Rex qui déchiquetaient des innocents en masse, des ptérodactyles qui saisissaient des hommes avant de les jeter sur le sol, des tricératops qui encornaient les fuyards... Et quand j'ai vu Les Dents de la Mer, je ne vous explique pas le carnage... Chaque péquenot qui tentait de fuir par la mer était automatiquement bouffé par le requin. Ma maîtresse de CP avait, à ce titre, convoqué mes parents en pensant que j'allais devenir un psychopathe en puissance. Bon heureusement ce n'est pas le cas. Je veux dire, à part un certain goût pour le masochisme et 2-3 séquestrations de chatons, j'ai quand même su conserver toute ma tête. Mais en tant que bon masochiste, il était évident que je devais voir ce film qui présentait déjà toutes les caractéristiques de la daube.


La critique du film est disponible ici


    En fait Jurassic Park c'est un peu l'exemple de la saga qui aurait dû ne pas en être une. Le premier opus suffisait largement et je le cite régulièrement comme étant un modèle de blockbuster avec une vraie mise en scène, des personnages bien écrits, de vrais enjeux. Bon après j'ai de la sympathie pour le deuxième malgré le fait que Malcom soit très lisse dedans. Par contre le T-Rex lâché dans la ville c'était cool. Et le troisième opus bwarf... Tu sentais la suite sans grande inspiration. 
Et ce nouveau volet ne m'inspirait rien qui vaille. Un type qui dompte les raptors, un dino génétiquement modifié alors qu'il y a de quoi faire dans le véritable bestiaire, un no-name à la réalisation... Enfin, partir avec à-priori négatifs peut parfois être l'occasion d'être agréablement surpris de temps en temps. Mais pas là malheureusement tant tout ce qui compose le film est mauvais et teinté surtout d'un énorme gâchis.
Le fait d'ouvrir le parc et de lâcher les bestioles sur le public après tout, sur le papier, ça aurait pu donner quelque chose de bien jouissif. Il y a tellement de choses à dire sur l'homme qui se prend pour Dieu, sur les spectateurs voyeurs et avides de sensations, sur la consommation... Mais Colin Trevorrow n'en fait rien, le film respecte scrupuleusement son cahier des charges avec la petite histoire familiale, le héros trop cool qui va pécho et la grosse baston entre dinos. Sans que ceci ne véhicule quelconque émotion et, bien sûr, sans prises de risque. Enfin peut-on en vouloir au réalisateur dans ce cas présent, lui qui a pu se retrouver bridé par une production qui s'est amusée à dénicher un jeune cinéaste (peut-être) talentueux pour en faire ce qu'elle voulait avant que son potentiel se révèle complètement? Et forcément, un film sans vrai réalisateur, ce n'est pas un bon film.
Et c'est ça le problème dans Jurassic World, c'est qu'il n'y a pas de cinéma derrière. Quand tu compares Jurassic Park premier du nom à ça, tu te dis quand même qu'il y a un souci. Déjà le film commence par 20 bonnes minutes où tu mixes l'introduction des protagonistes à un fan-service sans aucune subtilité avec la surexploitation de la musique de Williams, Monsieur ADN, la porte du parc qui s'ouvre... Le film avoue déjà sa faiblesse dès le départ en surfant sur la licence sans créer quelque chose de nouveau. Comparons juste ceci avec l'intro de Fury Road qui te présente déjà tout le topo en 3 minutes avec une immersion instantanée dans un univers connu mais qui se renouvelle quand même. Le dernier Mad Max a réinventé sa saga tandis que le dernier Jurassic se repose sur les lauriers acquis par ses prédécesseurs (surtout le premier). Nous voilà donc avec un film sans aucun intérêt et qui ne décolle jamais.
Les personnages sont juste lisses et transparents. Les gamins sont énervants, la tante est agaçante, Omar Sy est anecdotique, D'Onofrio campe un connard même pas intéressant... Rendez-nous le Professeur Grant et Ian Malcom quoi ! Le film ne développe pas ses personnages et surtout leur personnalité, leurs caractéristiques. Ils sont complètement interchangeables là où le premier Jurassic Park interrogeait leurs limites, dégageait leurs caractères propres. Mais ici que nenni, on reste en surface, ils sont peu intéressants. Un gros déficit d'écriture en quelque sorte pour un récit qui accumule les faiblesses.

A aucun moment, Jurassic World ne cherche à devenir plus qu'un vulgaire ersatz du premier opus de Spielberg, mêlant séquences idiotes aux références lourdes. Et évidemment, tout est prévisible. C'est quand même dingue en 2015 de se dire encore "ah lui va mourir, elle aussi mais eux par contres ils n'auront rien" et d'avoir raison derrière. C'est dire à quel point le scénario est lamentable, il n'y a pas de surprises, rien d'inattendu, rien de renversant. Et le film est totalement dénué de tension. L'inspection de l'enclos aurait pu être tendue comme pas permis mais tout arrive comme un cheveu sur la soupe. C'est d'ailleurs ce qui fait de ce film une petite aventure banale et complètement vaine, c'est qu'il n'y a pas d'enjeux et qu'encore une fois on juge bon de penser qu'une succession de petits rebondissements crée une sensation de danger. Mais à partir du moment où tout est prévisible et que c'est mal écrit, comment ressentir quelque chose face à un tel désastre scénaristique?
C'est quand même dommage, avec un tel univers comme potentiel de départ, de ne réaliser qu'un vulgaire blockbuster qui est une énième déclinaison du film catastrophe mais avec des dinosaures. Toutes les idées du film ne donnent rien, la collaboration avec les raptors donnent lieu davantage à des séquences nanardeuses qu'à autre chose. Et le côté intensément nanar du film se révèle vers la fin avec cette bataille finale entre dinos qui fait la part belle aux ralentis tape-à-l'oeil et aux juste-à-temps incessants, le tout teinté d'un côté poseur ultra ringard. A se demander comment c'est encore possible de réaliser des scènes aussi ridicules et de penser un seul instant que ce soit bien. Le top du top reste quand même les regards échangés entre les raptors et Owen qui donne au film un côté buddy movie juste hilarant qui prend encore plus d'ampleur après, avec le T-Rex. Encore heureux qu'on puisse rire de ce film, car pris au premier degré c'est difficile d'y trouver un quelconque intérêt.
Non parce qu'encore une fois, on se tape un scénario qui vole au ras des pâquerettes avec un "méchant" qui cherche à faire des dinosaures soldats. Je veux dire, la drogue c'est pas si mal que ça dans un processus créatif, mais là c'est juste pas possible. Les enjeux sont perchés, idiots au possible. Et en prime, le film est bardé d'incohérences entre des enclos évidemment pas adaptés, l'idée débile de créer un surdinosaure hybride et de s'étonner derrière qu'il y ait du grabuge. Il y a aussi ce plan assez rigolo où des touristes font du kayak à côté de stégosaures. Dans le deuxième volet on voyait ces animaux qui n'hésitaient pas à balancer des coups potentiellement mortels si on s'approchait d'eux. Mais là on peut tranquillement pagayer à leur côtés, sans risques. Enfin... Une nouvelle fois, Hollywood nous sert quelque chose sans aucune audace ni aucune âme. Alors le fond et la cohérence, qu'est-ce que les producteurs en ont à faire? La pub et un nom clinquant, ça suffit à faire un succès au box-office après tout. Inutile d'essayer de faire un film intelligent.
Jurassic World est donc un bien mauvais film, raté sur tous les points et paresseux. Heureusement qu'il y a une petite possibilité d'en rire et que ce n'est pas trop ennuyeux, sinon on tiendrait un sacré navet. Puis visuellement il y a aussi un problème avec tout ce numérique, les créatures paraissent moins réelles qu'en 1993, les textures sont grossières, le fond vert se grille à plein nez. Bref c'est assez pitoyable dans sa globalité, un blockbuster en mode pilote automatique avec des clichés comme s'il en pleuvait. Et pour conclure cette critique, on peut toujours citer Ian Malcolm qui, 22 ans auparavant, avait déjà prévu la qualité du film: "C'est vraiment un gros tas de merde"
Moorhuhn
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le 10 juin 2015

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Moorhuhn

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