Inspiré d’une série de livres pour enfants écrits par Eiko Kadono – une auteure plusieurs fois récompensée -, Kiki la petite sorcière est le cinquième long métrage du maitre Miyazaki.
L’histoire raconte que lorsqu’une jeune sorcière atteint l’âge de 13 ans, il lui incombe de partir pour un périple formateur d’un an, durant lequel elle sera livrée à elle-même et devra s’installer à son compte. Le film ouvre ainsi sur l’une de ces sorcières, Kiki bien entendu, qui s’apprête à se lancer dans son propre rite initiatique. C’est sous un ciel faussement dégagé que notre héroïne s’envole, avec l’énergie de la jeunesse et de l’insouciance, laissant derrière elle une famille dont le mélange d’inquiétude et de confiance trahit un amour sans fin.
Il n’est pas bien difficile de comprendre ce qui a touché Miyazaki dans cette fable, car si Kiki ne possède ni le souffle onirique d’un Chihiro, ni la candeur tragique d’un Totoro, le film partage avec ces dernières œuvres l’une des thématiques les plus récurrentes des travaux du maître de l’animation: le passage à l’âge adulte.
Pourtant, Kiki se démarque par la sobriété de son propos, par l’absence de drame en trame de fond habituellement omniprésent dans les histoires du réalisateur des studios Ghibli (pas de guerre, pas de lutte pour la cohabitation de l’homme et de la nature, pas de parents transformés en cochon par une odieuse sorcière, ou encore de parent malade dont on craint la mort durant tout le film). Difficile, entre toutes les œuvres américaines contemporaines stéréotypées et manichéennes, de réussir à raconter une histoire de courage en faisant fi de toute forme de grandiloquence.
Le courage ce n’est pas l’absence de peur, et cela Hayao Miyazaki le sait parfaitement. Faisant de ce thème le pilier de son récit, le maître japonais dessine du bout de ses doigts une magnifique histoire de doute, de peur et de volonté. S’envolant de chez elle avec une assurance immaculée, notre petite sorcière va devoir faire face à des craintes universelles, à des démons qui parleront à tous, ceux-là même qui naissent dans notre peur de l’échec, et dont chaque victoire sur notre volonté atteint notre confiance et fait naître, beaucoup plus tard, de sombres regrets.
Kiki la petite sorcière est donc une réalisation faussement candide. C’est une œuvre qui se prête à tous les regards. Pour l’adulte enclin à l’introspection, elle est le tableau de toutes ces fois où a eu lieu cette terrible bataille intérieure entre l’incertitude et le courage. Pour l’enfant, elle est une histoire lumineuse dont les multiples enseignements pourraient avoir d’étonnantes conséquences.
Le coup de génie de Miyazaki est de nous livrer pareille fable en limitant les artifices, en évitant le pathos des larmes et des violons, des personnages ou méchants ou gentils. Les péripéties traversées par notre petite héroïne sont – au risque de me répéter – une projection des épreuves que nous rencontrons tous. Qui n’a pas partagé le sentiment d’impuissance de cette petite sorcière qui, en proie au doute, voie ses pouvoirs magiques disparaître ? C’est en cela que kiki touche au plus profond de l’âme, avec cette faculté hors du commun de proposer une création sobre, puissante, intime et universelle à la fois.
D’une beauté visuelle et sonore dont seuls Hayao Miyazaki et Joe Hisaishi ont le secret, drôle, touchant, entraînant, Kiki la petite sorcière est définitivement une oeuvre majeure, à voir et à revoir.