Le Sud Texan : Son climat, sa loi, ses freaks...

Informé de l'importante assurance en cas de décès de sa mère, Chris Smith projette de l'assassiner. Avec la complicité de son père, de sa belle-mère et de sa soeur, il recrute un policier ripou qui travaille aussi comme tueur à gages. Problème, les 20 000 dollars d'accompte demandés ne peuvent lui être versés. En guise de caution, la famille Smith offre alors Dottie, la jeune soeur...


De tout le Nouvel Hollywood encore en activité, William Friedkin est l'un des plus tenaces. Jamais vraiment en odeur de sainteté à Hollywood, le réalisateur de L'exorciste et de French connection peine à monter ses projets mais continue de produire des oeuvres subversives, dérangeantes et réflexives tout en s'inscrivant dans le plus pur cinéma de genre. Sans concessions, Killer Joe n'entend pas changer cet état de fait, s'imposant même comme le film poil à gratter de l'année et l'électrochoc de la rentrée.


On prend les mêmes et on recommence, cinq ans après l'intéressant Bug, Friedkin réadapte le dramaturge Tracy Letts (qui scénarise également) avec Killer Joe. On imagine bien la galère des deux hommes pour produire cette histoire anti-commerciale au possible dont le pitch provocateur, l'atmosphère moite et subversive et l'amoralité totale sont à peu près tout ce que fuit Hollywood de nos jours. Heureusement, le roublard Friedkin lâche rarement le morceau et ça finit par payer ! Killer Joe débarque donc maintenant, pareil à un porte-étendard contemporain de l'esprit contestataire des 70's. Plongée poisseuse dans l'amérique white trash, prenant place dans un Texas chaotique où erre des redneks désoeuvrés, Killer Joe brosse le portrait d'une famille dysfonctionnelle pour mieux donner la température d'un pays schyzo. Suintant de crasse et de sueur, cette vision hardcore des USA chope aux tripes par son acuité sur une nation empétrée dans une perte de repères idéologiques, humains ou moraux. Pareils à leur environnement (où cohabite le désert et le béton), les personnages mis en scène ici peinent à se construire ou à être cohérents car rongés par leur dualité. En ligne de mire, l'avidité de la société ricaine, où l'argent devient à la fois l'échappatoire et la finalité absolue.


Comme pour Bug, Friedkin concentre une grande partie de l'action dans un lieu unique pour mieux nous y asphyxier. Quand bien même il adapte une pièce de théâtre, avec les contraintes inhérentes à l'exercice (peu de lieux, peu de personnages,...), il prend soin de toujours proposer du cinéma et non du théâtre filmé. Bon, ça n'est pas toujours excellement filmé, c'est parfois anarchique ou peu inspiré mais le réalisateur arrive constamment à souffler un chaud et un froid malaisant. D'une scène de cul dérangeante à un dialogue d'une ironie mordante, il n'y a parfois qu'un pas que Friedkin franchit allégrément. Un humour à froid salvateur au milieu d'un récit qui aurait pu tomber dans le naturalisme, le misérabilisme ou la chronique sociale confondante (la même qui aurait fait mouiller Télérama). Cette distance humoristique joue un décalage non seulement réussi mais nécessaire à la dédramatisation d'un sujet assez nihiliste.


Le scénario de Killer Joe est frontal et ne développe quasiment pas d'intrigues parrallèles, en cela il répond à l'unité d'action souvent en vigueur au théâtre. Mais le crescendo dramatique de cette histoire accroche complétement jusqu'à l'explosion finale d'un troisième acte jubilatoire. A la fois malsaine et bouffonne, cette troisième partie est LE morceau de bravoure du film. En huis-clos, ces 20 dernières minutes sont une orgie de violence (très crue) et de folie qui ose l'excès façon Rob Zombie pour mieux tendre le miroir d'une american horror story bien réelle. Le casting, minimal, repose sur cinq acteurs en tout et pour tout mais cinq acteurs qui vendent du rêve et servent chacun un personnage intéressant et dense. En tête, un Matthew McConaughey 2.0 (dont la street credibility augmente depuis quelques films) dans la peau d'un tueur à gages racé, charismatique en diable, pervers et fascinant. Thomas Haden Church campe le père ahuri qui subit les événements et Emile Hirsch casse son image de jeune premier avec le rôle d'un aimant à merde assez antipathique et vaguement incestueux sur les bords. La mimi Juno Temple (souvent dénudée) et la MILF Gina Gershon (qui ouvre le film de façon...poilante) compléte cette galerie de personnages iconoclastes et amoraux, véritables pieds-nickelés embarqués dans des tribulations criminelles. Des freaks volontiers détestables, peu attachants mais dont le portrait et les rapports fascinent tant ils traitent d'un malaise sociétal qui contamine jusqu'à la sacro-sainte sphère familiale. Un malaise si grand que les frères et les pères vendent leurs soeurs, que les enfants veulent assassiner leurs parents et que la finalité de tout ça ne peut être que dans le sang et les cris...


En résumé, Killer Joe est l'un des événements de cette rentrée. Par sa sécheresse, sa subversion et son ironie, le film est à la fois un grand film sur l'Amérique et un shoot contestataire façon 70's au carrefour de plusieurs genres (thriller, comédie noire, drame,...). Exaltant et malaisant, amoral et critique, le film ne manquera pas de diviser l'opinion et les spectateurs. Mais c'est le grand mérite des films qui bousculent que de ne pas laisser indifférent.

Créée

le 10 sept. 2012

Critique lue 360 fois

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Adrien Beltoise

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