Écrasé par des décennies de cinéma américain noir

J’ai sans doute des lacunes mais, de William Friedkin, je ne connaissais que « L’exorciste », vaste supercherie dans le monde du cinéma comme il en existe tant. La meilleure scène, celle où la jeune fille Regan descend l’escalier à l’envers, a de plus été rajouté par la suite. La version originale et écourtée du film, celle sur laquelle s’est bâti son statut de film culte, me paraît donc bien fade. Alerté par de nombreux critiques sur la qualité de ce « Killer Joe », c’est donc avec un certain plaisir que je me suis faufilé dans la salle obscure la plus proche de chez moi.

« Killer Joe » est avant tout un vrai film américain noir. Torturé, poisseux, violent, vulgaire. Les aboiements de chiens enragés lors d’une nuit pluvieuse ne laissent place qu’aux règlements de compte entre hommes armés où le sang giclera sur du poulet frit. « Killer Joe » pue la drogue. « Killer Joe » pue l’alcool. « Killer Joe » pue le sexe. « Killer Joe » pue la débauche humaine dans ce qu’elle a de plus pitoyable.

En cela, le film de William Friedkin porte un lourd héritage, celui du cinéma américain, qui s’incruste à tous les plans. Impossible de ne pas penser aux dialogues ciselés et cruels de Quentin Tarantino, aux règlements de compte collectifs de Martin Scorsese ou à l’absurdité du cinéma des frères Coen. Le plan échafaudé par Chris, et son dénouement, ne rappellerait-il pas celui d’un certain Jerry dans « Fargo » ?

Pour autant, aussi prestigieuses soient ces références, William Friedkin n’en conserve que la forme et jamais le contenu. Si bien que la violence qu’il déploie dans son film me paraît purement gratuite là où d’autres, comme Quentin Tarantino ou Michael Haneke, utilise celle-ci à d’autres fins. De plus, entre certaines scènes malsaines qui ne sont là que pour déstabiliser le spectateur, le rythme semble bien lent pour un film qui ne dure pas si longtemps.

Tout n’est pas à jeter et loin de là. William Friedkin a tout de même du métier et cela se voit dans sa réalisation. Classique comme peut l’être un cinéaste américain à l’aube de ses 80 ans, la mise en scène s’offre quelques moments de grâce (certains face-à-faces sont magnifiquement filmés, aidés par la réinvention toute friedkinienne du champ-contrechamp).

Je n’oublierai pas non plus les performances de Matthew McConaughey, qui trouve peut-être là le rôle de sa vie, même s’il souffre de la comparaison avec Anton Chigurh (Javier Bardem) de « No Country For Old Men » et d’Emile Hirsch que je n’avais pas revu depuis ses prestations avec Sean Penn (« Into The Wild » et « Harvey Milk »). Ce dernier confirme d’ailleurs tout le bien que je pensais de lui.

Malgré tout, la surenchère de Friedkin dans la violence, un rythme parfois lent, une intrigue finalement déjà vue et un final raté qui coupe le film quand il commençait à devenir intéressant font de ce « Killer Joe » un long-métrage plus que moyen puisqu’on a vu bien mieux dans ce genre si spécifique qu'est le cinéma américain noir. Dans la filmographie de William Friedkin, j’ai sans doute des lacunes mais je ne sais pas si celles-ci valent la peine d’être comblées.
potaille
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le 15 sept. 2012

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