Kingdom of Heaven, boudé à sa sortie, marque pour certains le début de la décadence de Ridley Scott. Pourtant, on y trouve tous les éléments qui firent le succès de Gladiator: costumes époustouflants, décors magnifiques, musiques sublimes, scènes épiques et violentes, et casting exceptionnel. Car oui, Orlando Bloom n'est pas une erreur de casting. On a critiqué ce choix à cause du supposé manque de charisme de l'acteur. Pourtant, il campe à merveille un personnage introverti, pudique, en quête de rédemption. Inutile de s'étaler sur le reste du casting, absolument parfait.
Après ces quelques considérations de forme, passons au fond.


On ressent dans les dialogues les angoisses métaphysiques des personnages, autour d'un questionnement sur l'essence et la rédemption des individus. Le film pose la question: l'homme peut-il changer? Si l'on entend plusieurs fois la phrase "je suis comme je suis", qui laisse entendre que les individus sont incapables de changer, le film répond pourtant par l'affirmative, mais en conditionnant le changement au mouvement de l'individu. La terre étant symbole d'immuable (n'oublions pas le message final du film: "presque mille ans plus tard, la paix au Royaume des cieux demeure fugace"), le personnage doit changer de terre pour concrétiser sa remise en cause, ce que confirme cette autre réplique récurrente du film, qui nous explique que celui qui n'est rien en Europe peut devenir puissant en Terre Sainte. Ainsi, Balian passe de l'Europe à la Terre Sainte, et d'obscur forgeron fratricide devient seigneur quasi saint d'Ibelin. De même, faisant le voyage en sens inverse, Sibylle, de reine terrible et froide de Jérusalem, devient simple épouse de forgeron en France.


Par conséquent, le changement auquel on assiste apparaît comme simplement matériel, tant il semble ne consister qu'en un simple passage de la richesse à la pauvreté, ou de la pauvreté à la richesse. En réalité, le changement est plus profond, et touche l'âme des personnages qui, dans le voyage, s'emplissent d'espoir.


Cette espérance, la même pour tous, est celle du pardon, de la rédemption.
Chacun de ces personnages a quelque chose à se faire pardonner (Balian un fratricide, Sibylle sa dureté envers le peuple et son infanticide, le fossoyeur les basses besognes que le prêtre l'a forcé à accomplir,...), et pour cela, il devra se remettre en cause en quittant tout, pour aller chercher, toujours au loin, sa rédemption. Ainsi, Renaud de Chatillon, refusant tout changement par son "je suis comme je suis", sera exécuté.


Ce thème de la rédemption nous permet d'aborder la question de la religion, dont elle est ici inséparable. Balian cherche le pardon auprès de lui-même et auprès de Dieu. Mais pour effacer ses crimes, Dieu doit le mettre à l'épreuve. Ainsi, le voyage apparaît plus particulièrement comme une épreuve imposée à chacun.
Néanmoins, le héros croit, de par la nature de son crime, avoir était abandonné par Lui. En cela il se trompe, car plusieurs fois, c'est Dieu qui le remet sur le chemin de son épreuve: il est le seul survivant du naufrage, il le réveille (le ressuscite?) après son combat contre les assassins, et un autre passage où il lui indique la marche à suivre. Il apparaît deux fois sous les traits de David Thewlis.
Le film pose en outre la question du destin, à travers la mort, dont on nous fait bien comprendre qu'elle est inexorable. En témoignent deux exemples. D'abord, sur un mur d'Ibelin, on insiste sur une fresque sur laquelle des squelettes disent "vois ce que nous sommes, un jour tu seras pareil". Ensuite, cette très stoïcienne réponse du personnage sans nom joué par David Thewlis à Balian, qui, l'avertissant que la bataille qu'il allait livrer contre les Sarrasins le mènerait à une mort certaine, lui rétorqua que "toute mort est certaine".
La mort est donc inévitable, et est au centre du film. Démonstration de la fragilité de la vie, la violence est exacerbée: on sent les coups puissants, les épées affutées, et le sang coule à flots.
La centralité des thèmes de la mort et de la religion confère au film une ambiance mystique, d'autant plus accentuée par le cadre du récit.


Pour finir, on a attaqué le film sur son prétendu manichéisme. On semble en effet avoir d'un côté les bons musulmans tolérants, et de l'autre les terribles chrétiens. Ce n'est qu'une impression, car le fanatisme intolérant est aussi présent du côté Sarrasin, mais est simplement moins développé et plus discret. Les deux camps sont en vérité symétriques. De chaque côté, on a un chef (Baudoin et Saladin) qui sont, par pragmatisme, pour une tolérance qu'ils jugent inévitable pour le maintien de la paix, qu'ils désirent touts deux avant tout. Chacun de ces chefs est entouré de deux conseillers, l'un modéré, l'autre fanatique, comme l'ange et le démon qui, chacun sur une de ses épaules, tenteraient d'influencer les actes du chef (d'ailleurs, à l'image, le chef est souvent au centre, et chacun des deux conseillers se trouve de part et d'autre du plan). Côté chrétien, Tibérias incarne a modération. Côté musulman, c'est l'homme qui conduit Balian à Jérusalem. Côté chrétien, Guy de Lusignan incarne l'intolérance; côté musulman, c'est un personnage très discret que l'on voit peu, d'où le déséquilibre dans le traitement du fanatisme de chaque camp.
A noter, pour ceux qui crient à l'anti christianisme, que vers la moitié du film, l'armée musulmane et sombre et survolée de nuages noirs, là ou l'armée chrétienne, progresse sous un ciel bleu, le soleil se reflétant sur ses armures étincelantes. L'armée chrétienne n'est donc pas représentée comme le mal absolu.
Le film n'est pas anti chrétien, ni anti religion; il est par contre anti clérical; tous les personnages de prêtres sont présentés comme des lâches et des cupides. Dieu, sauf pour guider notre héros, n'apparaît jamais que dans les paroles des personnages; ils utilisent son nom que pour justifier, bonnes ou mauvaises, leurs actes.


Kingdom of Heaven, très bon en version cinéma, excellent dans la version du réalisateur, est un film beau, puissant, épique. Son ambiance chevaleresque et mystique lui donne un cachet unique. Probablement un film qui gagnera en renommée avec le temps.


PS: Dans la version réalisateur, notons la presence de Nicolaj Coster-Waldau en chevalier français au début du film.
A la fin du film, Richard Coeur de Lion est incarné par Iain Glen (Jorah Mormont dans GoT).

MarshallPutain
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le 13 août 2018

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