Au royaume des lépreux, les gens normaux sont rois
Kingdom of heaven est, malgré ses nombreux défauts, l’un de mes films favoris. D’aussi loin que je puisse me souvenir, les mots « héros », « épopée », « légende » ont trotté dans ma tête comme des termes références. Petit, j’adorais les grandes histoires de Picsou, et aucunes ne me plaisaient plus que celles qui sortaient de la réalité pour se mêler à l’histoire ou aux mythes des temps anciens (les afficionados comprendront que je parle plus de Don Rosa que de Barks). Kingdom of Heaven est ce genre de film. Une épopée où se mêlent l’histoire et la légende, grandiose mais totalement humaine, où chaque personnage se montre sous sa vraie nature sans aucune arrière-pensée, les méchants étant dangereux, les gentils faibles, et les musulmans entre les deux.
Qui de plus indiqué pour jouer le rôle d’un vrai héros qu’Orlando Bloom, cet acteur donnant toujours l’impression de sur jouer le premier de classe, campé dans des rôles de métro sexuel sans aucun défaut, toujours sous-estimé par les siens (cf Legolas, Will Turner, Pâris, ou encore le Duc de Buckingham) alors qu’il a prouvé à maintes reprises qu’il était un des meilleurs acteurs de sa génération, par sa capacité à se fondre dans les personnages et à donner du sens à son texte. Bref, Balian, que les livres d’histoire nous présentent comme un homme d’un certain âge, chevalier, meneur homme, donc en gros un Aragorn des croisades, se retrouve campé par une demi-portion. Ce n’est pas pour me déplaire car Kingdom of Heaven ne demandait pas à Balian d’avoir des bras comme des poteaux télégraphiques, capables de creuser des puits d’eau tout seul (il y a des esclaves pour ça, quand même).
Car c’est bien cela qu’est Kingdom of Heaven : le choix volontaire d’un épisode historique totalement hors de phase avec son temps. En effet, dans cette époque de croisades sanglante au possible, dure, où les hommes mourraient par milliers (30 à 40 000 morts dans la mal nommée « croisade populaire »), la défense de Jérusalem par Balian, en 1197, reste un événement stratégique résolu par la diplomatie plutôt que par la violence, et marque avant tout le respect qu’il pouvait exister entre les généraux de deux peuples pourtant en guerre perpétuelle.
Je vois donc Kingdom of Heaven comme un énorme blockbuster qui sait ne pas renier la réalité historique mais au contraire la mettre en valeur. Nous connaissons, nous occidentaux, Jules César ou encore Cicéron, comme des grands chefs de guerre et orateurs, mais Saladin, sans ses origines dans le camp ennemi, n’aurait rien à leur envier dans l’imaginaire collectif. Il n’était pas aisé de faire passer ce message d’amitié entre les peuples dans l’après 11 septembre.
Quand je regarde Kingdom of Heaven, je vois également des acteurs qui ont tout compris à leur personnage, Liam Neeson, Edward Norton, Eva Green, extraordinaires de duplicité entre leurs propres faiblesses et leur envie de bien faire les choses pour le peuple de Jérusalem, mais QUI restent humains jusqu’au bout, heureusement.
L’un dans l’autre, Kingdom of Heaven a réussi ce que bon nombre ont échoué, conserver son savant équilibre entre scènes de guerre, scènes d’action, scènes humaines et compréhension des protagonistes de l’histoire. Pour toutes ces raisons, il valait bien d’être vu, ou revu, ou rerevu.
La moralité : Il n’est pas interdit de prendre pour appui la réalité historique afin de mieux la modeler pour lui donner le sens désiré. Ridley Scott l’a très bien fait. D’autres l’ont bien fait aussi. Je suis souvent déçu que les bandes annonces de films indiquent « ceci est une histoire vraie » comme si cela suffisait à justifier d’acheter son billet.
La mention du critique : A un acteur syrien, Ghassan Massoud, Saladin dans le film. C’est un acteur fantastique dans le film, et un réalisateur très connu dans son pays. Dans ces moments difficiles, je ne peux m’empêcher de me rappeler que la Syrie faisait, à l’époque de Kingdom of Heaven, partie du centre du monde.
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