La grande force Kwaidan ne réside pas seulement dans ses histoires si sobres en apparence qui font tout le charme du folklore japonnais, mais dans sa mise en scène, sa composition d'image et la maitrise impeccable de la camera par Kobayashi qui sait par la précision de ses cadres et de ses mouvements faire passer viscéralement cette angoisse teintée de fascination si propre au fantastique. Que ce soit par l'aspect audio émaillé de luth sur fond d'un vent sonore et profond, par les arrières plans hallucinés quasi-théatraux habillés de couleurs tantôt vives tantôt mortes (ce qui n'est pas sans rappeller le rêve délirant dans Kagemusha) Kwaidan s'arrête toujours à la limite de la surenchère et reste toujours juste pour insuffler cette folie bordée au réel que côtoient les pauvres mortels que sont les personnages. La camera virevolte avec brio d'un angle à l'autre, envoutant nos sens à la manière de ces esprits omniprésents, chaque plan se transformant en tableau vivant où il piège le spectateur et imprime cette sensation dérangeante qui se dégage de chacune de ces quatre histoires .
On notera d'ailleurs dans la première la parenté évidente (mais bien plus fracassante et viscérale dans sa mise en scène) avec les contes de la lune vague après la pluie, Kobayashi, un peu plus fou et moins pudique que Mizoguchi fait rouler la camera dans une maison déliquescente aux parois craquelées et pourries par l’œuvre du temps, ainsi, nul échappatoire cette fois, le conte n'est plus une simple histoire à raconter, mais le tragique et cruel sort jeté par les morts aux vivants.
Vous l'aurez compris, chaque histoire est menée d'une main de maitre (malgré quelques travellings ça et là parfois un peu trop appuyés et répétitifs) et l'ambiance globale, dans ses jeux de lumières comme dans cette composition de l'image (jusqu'au arrière fonds peints surréalistes, tapissés d'affects en formes de flammes et d'yeux inquisiteurs) cerne chaque histoire pour en faire ressortir une peinture hallucinée, matérialisant avec aisance la visceralité de son propos, qu'un jeu d'acteur sans fausse note fera prendre vie avec effroi.
C'est peut être là le génie japonais, que ce soit avec des créations comme Silent Hill, The Grudge ou The Ring, l'importance qu'ils donnent à l'atmosphère rends la plupart de leurs œuvres sur le sujet véritablement puissantes dans l'effet qu'elles produisent, délaissant gore et violence pour s’adonner à l'atmosphère oppressive et nauséeuse teintée de moments de frayeurs, ce qui sur le long terme, laisse une empreinte bien plus tenace.
Probablement parmi les meilleurs films de fantastique que j'ai pu voir