Ce que j’aime dans le cinéma de Joachim Lafosse, c’est sa capacité à filmer des personnages sans les juger ni nous attendrir, juste en montrant de manière neutre leurs actions pour qu’on puisse s’y identifier ou du moins essayer de les comprendre. En ce sens, L’économie du couple est sans aucun doute, son film le plus troublant. Je ne sous-entends pas que les portraits du professeur pervers dans « Élevé libre » et de la mère psychologiquement instable dans « À perdre la raison » ne puissent pas vous interloquer mais forcément une heure quarante de huis clos sur un couple en train de se séparer dans la douleur, cela parlera à plus de monde.
À première vue, rien de très original sauf que, Lafosse a la bonne idée de ne pas faire tourner la raison de leur discordance autour d’une garde d’enfant (comme 90% des fictions sur le sujet post Kramer contre Kramer, tous médias confondus) mais autour de la valeur universelle qui régit notre belle société moderne : L’argent. Ainsi donc, juste après leur séparation, Boris se retrouve contraint de cohabiter avec Marie et leurs deux enfants, faute de moyens pour se reloger. La maison dans laquelle vit cette famille éclatée, a été achetée par elle mais rénovée par lui. L’enjeu est donc le suivant Boris ne partira jamais sans avoir la moitié de la valeur marchande de la maison, Marie refuse. Ils vont donc entretenir une relation orageuse jusqu’à que l’un ou l’autre cède. Le postulat est assez court pour tenir tout un long-métrage mais contrairement à ses autres films où il cherchait à maintenir un enjeu dramatique, une tension ou un suspense, cette fois-ci, Lafosse œuvre à fond dans l’étude de caractères avec la même démarche naturaliste qu’une Maïwenn avec « mon Roi » ou qu’un Maurice Pialat.
On assiste donc à une succession de scènes du quotidien d’une puissance et d’une justesse incroyable. Le scénario y est pour beaucoup. Non seulement, il transpire le vécu, de la caractérisation des protagonistes à l’écriture des dialogues mais surtout il aborde le thème du couple avec modernité. Outre la place de l’argent, c’est plus largement sur la place des conjoints et du caractère précaire de l’équilibre du couple que le discours du film interpelle. Surtout que la raison de leur séparation ne nous sera jamais évoquée, permettant à chacun d’entre nous d’essayer de se mettre à la place de ces êtres perdus dans leurs sentiments.
Quant à la mise en scène de Lafosse, elle est aussi minimaliste que son procédé mais le réalisateur belge a une science du cadre impressionnante qui permet de matérialiser visuellement les enjeux à l’écran. Il tire aussi le meilleur de ses acteurs en particulier du duo Bérénice Bejo et Cédric Kahn, tous deux éblouissants dans leurs rôles respectifs. L’assemblage de ces deux qualités font que les scènes se succèdent dans la fluidité et la subtilité, notamment les séquences d’émotions , à l’image de la scène de danse sur Bella de maitre Gims ( incroyable mais véridique).
Au fond, si l’absence d’une véritable dramaturgie pourrait dérouter plus d’un spectateur, cette introspection dans l’intimité d’un couple en pleine implosion est l’œuvre la plus belle et fascinante de la filmographie de Lafosse.
Critique issue de: http://cinematogrill.fr/leconomie-du-couple/
Willard