Le drame mélancolique ou le traumatisme du sensible.

Quelques conditions contextuelles à ce visionnage. Profonde tristesse, profond ennui, gouffre de perdition, lent décroissement de l'énergie. C'est ainsi qu'on attrape le premier film qui ne semble pas à l'eau de rose. Grande chance que d'avoir ce sublime film sous la main. Grande chance d'avoir pu en tirer quelque chose.

Ivan, jeune russe durant la Seconde guerre mondiale, sert dans les renseignements sur le front. Prenant part à de nombreuses missions périlleuses du haut de ces 12 ans. Seul au monde, parmi des militaires qui ont chacun leur avis sur l'avenir du jeune soldat, il n'a plus de famille et sait pourquoi. Une histoire universelle, un thème intemporel. Maintenant il s'agit de savoir que voir. Ivan est cet enfant, ou du moins fut cet enfant, car il ne l'est déjà plus, qui put savoir ce que signifie vivre. Or cette définition ne l'effleure plus. Ivan est un homme, il est ce moment où chaque être humain sait qu'il est en train de devenir ce qui fait de lui un adulte. Chacun en nous nous vivons ce drame, ce traumatisme sensible qui vous fait ressentir les choses comme des réalités denses et hostiles. Ce moment où on saisit que le drame est là, devant nous, ou derrière, tapis dans l'ombre de notre sensibilité défaillante. Ivan a perdu cet instant, il ne sait pas ce que c'est d'être un enfant, quelques vagues souvenirs remuent dans ces rêves, mais ce n'est que ça, des rêves, pas des souvenirs, des sensations, pas de manière évidente du vécu. Ivan n'est plus dans le sensible, il est dans le visible, le palpable et le détestable. Lorsque la poétique ouverture fait d'Ivan un oiseau, le réveil fait de lui un animal. C'est la réalité, le rêve est ce qu'il est car la réalité est ce qu'elle est. Ce contexte de guerre n'est autre qu'une vaste allégorie de notre sensibilité brouillée, comme un long râle de la mélancolie, c'est la mort naturelle, la fin de la sensibilité. Il n'y en a pas dans ce film, il n'y a que de la destruction, de la mort, du faux, de l'impossible. Ivan est au milieu de ces soldats comme la voix révélatrice de leur patriotisme et de leur combativité, qui est sans états d'âmes, qui est traumatisée et entêtée. Voilà ce qu'est Ivan, la personnification de sentiments et de devoirs. Ceux de soldats. Il aurait pu seulement être une intrigue, il sera un personnage, qui ne vaut pas mieux que les autres, qui les fait valoir ou inversement.

La seule chaleur sensible qui se dégage du film vient de Tarkovski. L'habile maniabilité avec laquelle il parvient à perforer ses personnages afin d'illuminer ce qui fonde cette histoire. Ils sont comme du papier calque, projeté sur nous et dans la lumière. Ces plans construits habilement, souvent en plusieurs plans. On peut évidement distinguer sur certains plans des portées sur plusieurs niveaux, premier plan, second plan, troisième plan, l'action se passe à tous les degrés d'image. Une sorte de renaissance picturale, une création de la perspective. Avec l'évocation à plusieurs crans de signification, de ressentis et de sensations. La musique sert à donner une autre profondeur, celle de la chaleur ou de la tristesse qui doit nous submerger. Sans fin, comme ce puits à l'étoile de jour.

Au final chercher un sens est hasardeux. Il faut cependant reconnaitre la profondeur et de la réalisation, et de la photographie, mais aussi des sensations. Car il est là l'enjeu, comment ressentir quelque chose dans le vide. Tout n'est que ravage, tout n'est que ruine. Ce film est une ruine, une ode à la fin, une fin aux funérailles. Enlevez le contexte, enlevez tout et rappelez vous le jour de la perte de votre enfance, le jour de la perte de ce qui put être de l'innocence. Car c'est bien ça qu'on a perdu. C'est ça qu'Ivan n'a plus dès le début, mais qu'on le voit désespérément rattraper sans savoir ce qu'il veut. Ses rêves sont prémonitoires, l'annonce d'une fin quel quel soit. Du moment qu'elle vient.

Ne soyez pas avares de sentiments en admirant ce chef d'oeuvre, il ne vous en donnera pas. C'est un film qui suscite et vous prend, il ne donne rien. Un film magnifique, profond et poétiquement cruel ne perdez pas ça de vue.
TheDuke
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le 5 mars 2013

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