Premier long-métrage de Tarkovski, L'Enfance d'Ivan frappe immédiatement le spectateur par deux éléments : son esthétique et l'interprétation du jeune homme.
L'esthétique, pour commencer, se veut tout en contraste, entre des scènes du passé lumineuses, où les enfants s'émerveillent dans une nature belle et tranquille et profitent d'un amour familial simple et plein de tendresse ; et des scènes du présent où la pénombre et la désolation prédominent, où la tristesse et la haine (de l'ennemi) ont cours, la transition étant souvent brutale à l'image (en témoigne la séquence dans le puits). Cette esthétique très marquée, différenciatrice, sert la narration et souligne bien évidemment le propos du film, qui est de mettre en opposition ce qu'un enfant a pu connaître (et doit connaître) et ce qu'il connait au moment présent où se déroule l'action du récit (ce qu'il ne devrait pas connaître). Autrement dit l'opposition entre grandir en temps de paix dans un cercle familial propice à l'épanouissement (et ce malgré l'absence d'un père) et devoir subir (et affronter) les affres d'une guerre terriblement meurtrière. De ce fait l'amour disparait, il est remplacé par la haine de l'autre qui pousse à vouloir détruire, ou participer à détruire, des êtres humains. L'enfant ne devient toutefois pas une arme sans humanité, ses officiers l'utilisent certes, mais veulent à un moment ou à un autre le protéger en le sortant de cette guerre. Le problème est que le jeune homme n'a plus d'attaches, et que sa volonté se dirige plutôt vers la vengeance de ceux disparus à cause de cette guerre. D'où sa volonté de poursuivre, d'où sa détermination.

Cette détermination est parfaitement mise en œuvre à l'écran par l'interprétation charismatique du jeune acteur jouant le rôle d'Ivan. Dés la première scène dans les quartiers de l'officier russe qui le recueille après sa traversée des marécages, sa personnalité explose et l'on se retrouve subjugué par l'autorité naturelle du jeune garçon, tout autant que peut-être abasourdi l'officier qui lui donne à manger et qui se retrouve presque à lui obéir lorsque le scout lui crie d'appeler son donneur de mission à la radio.
Par las suite, le caractère du jeune homme se montre un peu plus sous d'autres facettes, on retrouve ainsi un aspect plus infantile lorsqu'il sanglote, se plaint et jure de s'échapper de l'orphelinat dans lequel on veut l'envoyer pour le faire échapper à la guerre. Ceci nous rappelant ce qu'il est avant tout, un enfant.

Le film de Tarkovski s'appuie sur ces éléments, se montre éblouissant et artistique comme lors de ces scènes dans le marais où les fusées éclairantes viennent déchirer la nuit, mais semble un peu long par instant alors même que sa durée n'excède pas l'heure et demie. La raison en est peut-être que le développement du propos du film ne s'étend pas outre-mesure au-delà de cette opposition entre enfance heureuse et enfance malheureuse, que cette simplicité dessert le récit, que certaines scènes ne parviennent pas à bouleverser autant que d'autres (celle de la fuite d'Ivan, avant d'être rattrapé, n'est pas forcément intéressante par exemple).
Il n'en reste pas moins que si L'Enfance d'Ivan n'est pas perfection, c'est un film à voir pour les raisons évoquées ci-dessus et qu'il réserve quelques beaux moments de cinéma notamment sur un plan esthétique et de la performance d’acteur.
ngc111
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le 13 nov. 2014

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